Issy joue la carte de la Renaissance

Issy-les-Moulineaux. Tout commence en 1991, avec l’acquisition d’une carte du Chariot par le Musée de la carte à jouer d’Issy-les-Moulineaux, l’un des seize atouts du jeu des « Trionfi », première version du jeu de tarots que l’on connaît aujourd’hui. Sur quelques centimètres carrés, se développe une composition particulièrement sophistiquée, divisée en deux registres : en bas, deux cavaliers en mouvement guident le char, maniant la cravache ; en haut, une figure mystérieuse d’impératrice entourée de sa suite nous fait face, contrariant la perspective qui emmène le véhicule vers la droite de l’image. Ce dessin complexe, à la palette vive et au fond doré finement ouvragé, rend ce petit objet aussi fascinant qu’un tableau.

Trente ans après son apparition sur le marché de l’art, la carte peinte vers 1441 par un maître encore non identifié, baptisé Maître du Chariot d’Issy, retrouve deux des soixante-neuf autres cartes que comportait le jeu auquel elle appartenait. Une Dame de coupe et un Cavalier de Denier venus de Varsovie rejoignent ainsi l’atout esseulé d’Issy, à l’occasion de l’exposition « Tarots enluminés, chefs-d’œuvre de la Renaissance italienne ». Un prêt exceptionnel, tant ces objets sont précieux et fragiles. La plupart de ces cartes ne voyageant pas, l’exposition comble les lacunes par des reproductions agrandies, où seule l’iconographie de ces images peut être considérée. Le report de la manifestation pour cause de pandémie en 2021 a toutefois permis d’enrichir le parcours de nouveaux prêts, venus de Hanovre, de New York ou de Sicile. La présence de ces trésors est une chance : difficile de remplacer le plaisir de l’observation de ces miniatures, toutes en pleins et en reliefs, par une photographie.

Souvent démembrés par les collectionneurs et vendeurs, les jeux de tarots italiens du XVe siècle sont dispersés dans des collections, et parfois difficilement localisables. Aussi, la présence des seize atouts du jeu dit de Charles VI, prêté par la Bibliothèque nationale de France, offre au regard le luxe opulent de cet ensemble, aux fonds d’or boursouflés, et la grande cohérence du programme iconographique développé par les peintres, d’une carte à l’autre.

Le parcours du musée isséen est un régal pour les yeux, servi par une scénographie sobre mettant en valeur ces trésors miniatures. C’est aussi l’occasion de découvrir une recherche bourgeonnante et en mouvement : ignorée par l’histoire de l’art, à l’exception du légendaire Roberto Longhi, l’étude de ces objets reste largement à défricher. L’exposition présente quelques-unes des dernières avancées scientifiques, avec notamment la réhabilitation du foyer de production florentin, là où Ferrare et Milan ont longtemps été considérés comme les ateliers majeurs du tarot italien.