Rétrospective

Insaisissable Charpentier

Par Maureen Marozeau · Le Journal des Arts

Le 29 janvier 2008 - 574 mots

Le médailliste et créateur de mobilier, tombé dans l’oubli dès les années qui ont suivi sa mort, en 1909, incarnait l’exemple même de l’artiste social

PARIS - La majestueuse salle à manger provenant de la demeure du banquier Adrien Bénard, à Champrosay (Essonne), est l’un des joyaux de la collection des Arts décoratifs du Musée d’Orsay, à Paris. Son concepteur, Alexandre Charpentier (1856-1909), jouissait d’une belle célébrité lorsqu’il reçut cette commande, mais comme de nombreux petits maîtres de la fin du XIXe siècle, il est rapidement tombé dans l’oubli dans les années qui ont suivi sa mort. Inspirée par ses rencontres avec une descendante de l’artiste, bien décidée à dresser un catalogue précis de l’œuvre de son grand-père par alliance, Emmanuelle Héran, conservatrice au Musée d’Orsay, a décidé d’organiser une rétrospective du travail d’Alexandre Charpentier, autrement plus consistante que celle déjà accueillie à la National Gallery of Art de Washington en 2006.
Une exposition sur un médailliste peut paraître aride. Grâce au style organique propre à l’Art nouveau, la virtuosité de Charpentier fait oublier l’aspect hiératique traditionnellement lié à cet art. La beauté du geste est ici magnifiquement mise en valeur par des vitrines et un éclairage multidirectionnel spécialement conçus pour l’occasion. La production de médailles commémoratives, comme celle que Charpentier exécuta en 1893, vendue exclusivement sur la Tour Eiffel, ne saurait d’ailleurs résumer la carrière particulièrement protéiforme de l’artiste parisien. Organisé sur un rythme sensiblement chronologique, le parcours de l’exposition dresse l’inventaire des talents de Charpentier.
Portraitiste, il immortalise les membres et proches du Théâtre Libre d’André Antoine dans une série de profils en larges médaillons de bronze. Designer, il collabore avec la société La Maison moderne en imaginant des objets décoratifs, comme ces encriers ou poignées de portes. Créateur de mobilier, il conçoit des pièces originales, comme un précieux meuble à layette en bois orné de deux plaquettes en étain, Jean et Pierre, et une réduction de la célèbre Jeune femme allaitant. Présentée en plâtre au Salon des Artistes français de 1883, cette maternité fut acquise par l’État qui la fit reproduire en marbre. Fervent mélomane et ami intime de Claude Debussy, il signe un somptueux meuble à quatuor et son pupitre assorti dans le plus pur style Art nouveau, ou encore une fantaisie en plâtre, collé sur le dos d’un violon, illustrant une ronde de danseuses.
Charpentier figurait en bonne place dans l’exposition consacrée à Claude Roger-Marx, en 2006, au Musée des beaux-arts de Nancy. Anarchiste, anti-dreyfusard, mais ne pouvant financièrement pas se permettre de refuser les commandes de clients fortunés, il correspond en tout point à l’idée que le critique s’était faite de l’artiste social : un créateur sur supports multiples, capable d’offrir ses talents aux plus aisés, avec des pièces d’exception et des matériaux nobles, comme aux plus modestes, avec des multiples abordables, comme les médailles. L’important étant d’introduire l’art dans tous les objets de la vie quotidienne, pour le rendre accessible au plus grand nombre. Autre rare exemple de commande privée, le mobilier de la Salle de billard de la villa La Sapinière à Évian-les-Bains (Haute-Savoie) est aujourd’hui présenté pour la première fois au public.

- ALEXANDRE CHARPENTIER (1856-1909), NATURALISME ET ART NOUVEAU, jusqu’au 13 avril, Musée d’Orsay, 1, place de la Légion d’honneur, 75007 Paris, tél. 01 40 49 48 00, tlj sauf lundi 9h30-18h ; jeudi 9h30-21h45, www.musee-orsay.fr. Catalogue publié par le musée et les éditions Nicolas Chaudin, 224 p., ill. couleurs, ISBN 978-2-35039-045-1, 40 euros.

ALEXANDRE CHARPENTIER
- Commissaires : Emmanuelle Héran, conservatrice au Musée d’Orsay et Marie-Madeleine Massé, chargée d’études documentaires au Musée d’Orsay - Œuvres : 189 pièces réparties dans 6 salles - Scénographie : Véronique Dollfus, architecte DPLG L’exposition sera présentée au Musée communal des beaux-arts d’Ixelles, en Belgique, du 8 mai au 31 août

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°274 du 1 février 2008, avec le titre suivant : Insaisissable Charpentier

Tous les articles dans Expositions

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque