La Verrière d’Hermès consacre une exposition toute en finesse aux délicates broderies de cette artiste sortie récemment de l’oubli.
Bruxelles - L’époque se veut propice au réexamen critique d’artistes passés entre les mailles du filet de l’histoire de l’art. Aujourd’hui âgée de 80 ans, Hessie (de son vrai nom Carmen Lydia Djuric) est une de ces pépites que l’on redécouvre avec émotion. Son nom commence à circuler lors de l’exposition « Elles@centrepompidou » en 2009-2010. Puis la galerie Arnaud Lefebvre a mené un important travail de sauvetage et de restauration de centaines de pièces, qui menaçaient de se détruire et de disparaître à tout jamais dans l’atelier de l’artiste.
Née dans les Caraïbes, Hessie a partagé dès 1962 sa vie avec l’artiste Dado, dans un ancien moulin à Hérouval (France), où elle avait son atelier. Son art textile qui, dans les années 1970, participa d’un mouvement féministe, trouve une nouvelle vie et un écho dans l’exposition réussie que lui consacre la Verrière. Les pièces (une quarantaine), de divers formats, produites entre 1968 et 1978, sont regroupées par séries. C’est ainsi qu’on (re)découvre les « Grillages », les « Végétations », les « Bactéries », les « Boîtes », les « Bâtons », les « Trous », les « Points cousus »… autant de délicates broderies abstraites réalisées chacune à partir de la répétition d’un motif tissé sur de vieux morceaux de tissu écru. Suivant l’esprit du all-over, aucun principe de hiérarchie ou de composition n’est à l’œuvre. Seules les limites des pièces de tissu utilisées mettent un terme au tissage des motifs qui pourrait se poursuivre à l’infini. Le choix d’en montrer certaines sans cadre est de ce point de vue des plus pertinents. Comme certains titres le laissent penser, on pressent l’esquisse de mystérieuses cosmogonies, telle une remontée aux origines, à quelque chose de primordial et de vital. En intitulant toutes ses expositions « Survival art », l’artiste suggérait déjà la nécessité vitale mise en branle dans son art. Et lorsqu’elle troque son aiguille et son fil contre une machine à écrire, c’est avec la même liberté qu’elle imprime des lettres sur des morceaux de tissus, rappelant les expériences de poésie concrète.
Humilité et obstination
Certes, Hessie est imprégnée de l’esprit de son temps, mais ne se laisse enfermer dans aucune catégorie. Il y a dans l’aspect répétitif, programmatique de son œuvre, une dimension conceptuelle. En même temps, cette œuvre s’inscrit dans le faire, dans le lent travail de la main, dans l’utilisation de matériaux pauvres. On songe aussi au post-minimalisme dans son recours à l’élémentaire assorti d’un refus de toute forme autoritaire et monumentale. Ses broderies sont si discrètes, si délicates, invisibles parfois, qu’il faut se rapprocher pour bien les voir. Cette intimité est servie par le parti pris scénographique alternant les pièces accrochées au mur, inclinées ou posées à plat. Pas de place ici pour le bavardage ou l’anecdote. Le mot « silence » apparaît sur l’une des quatre feuilles criblées de petits trous, tel une affirmation. Au fond, ce qui séduit tant dans ce travail est qu’il ne cherche pas à séduire. C’est une œuvre sans compromis, qui résiste doucement, mais sûrement.
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Hessie, tisseuse d’infini
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Abonnez-vous dès 1 €La Verrière, 50 boulevard de Waterloo, Bruxelles (Belgique), lundi-samedi, 11h-18h, tél. 32 (0)2 511 20 62, www.fondationdentreprisehermes.org, entrée libre
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°468 du 25 novembre 2016, avec le titre suivant : Hessie, tisseuse d’infini