Réunissant une quinzaine d’artistes d’Amérique du Sud au Musée d’art moderne de la Ville de Paris, « Da adversidade vivemos » construit son propos sur des réponses à une société hostile. D’Hélio Oiticica à Fernanda Gomes en passant par Francis AlÁ¿s, trois générations montrent la richesse de la création contemporaine dans un continent incontournable sur la scène internationale.
PARIS - Le marchand de sable est passé au Musée d’art moderne de la Ville de Paris, mais il n’a endormi personne. Au contraire, Eden, l’installation, originellement réalisée en 1969 par Hélio Oiticica, ouvre encore les yeux. Reprenant, vue d’en haut, la composition d’un tableau de Mondrian, cette installation de canisse, tente, mousse, paille ou encore feuilles mortes disposées sur une surface de sable, engendre un contraste saisissant avec la blancheur aseptisée des salles : on y marche, on se salit, et on se mouille. Plus que tout, l’œuvre confronte l’Abstraction géométrique à la construction populaire des favelas, réalisant le passage de la peinture à l’objet que revendiquait l’artiste au sein de la “nouvelle objectivité”. Défini dans un texte de 1967 (Schéma général de la nouvelle objectivité, reproduit dans le catalogue de l’exposition), cet “aboutissement composé de tendances multiples” se résumait alors en une “devise” : “de l’adversité nous vivons”.
Ce slogan sert de titre et de ferment à l’exposition qui réunit actuellement à Paris une quinzaine d’artistes sud-américains appartenant à trois générations différentes. Une généalogie qui donne l’occasion de voir des œuvres désormais “historiques” (Desvio para o Vermelho (Red Shift, 1967-1984) de Cildo Meireles), mais aussi des travaux prometteurs comme les installations aussi brutes que précieuses de Fernanda Gomes. “La sélection d’œuvres présentées ici ne prétend aucunement fournir un panorama de l’art contemporain en Amérique latine. J’ai conçu l’exposition comme un essai, qui ne traite ni de géographie ni d’un mouvement, mais qui parle des deux idées que sont l’adversité et la densité. C’est dans ce continent que se sont développées nombre de réponses à une condition existentielle et socio-politique difficile”, explique Carlos Basualdo, commissaire de la manifestation et par ailleurs membre de l’équipe de la prochaine Documenta de Cassel. “Pendant longtemps, les pays d’Amérique latine étaient des sociétés qui n’offraient aucun espace d’exposition. Les artistes ont finalement construit autour pour trouver leur place.”
T-shirt siglé “jetable”
Omniprésent, le propos politique vire parfois à l’affrontement : Minerva Cuevas donne dans l’activisme, à travers son projet Mejor Vida Corp. et le Colombien Wilson Díaz revêt un t-shirt siglé “desechable” (jetable) ou, déguisé en lapin blanc, s’en va dormir sous l’emprise de somnifères au milieu des clochards. Le même, avec Fallas de Origen (1997), représente d’un trait naïf une petite maison rouge paisible, un rêve de pavillon exotique. À côté, accroché au mur, un courrier indique que la législation française n’a pas permis d’y planter de la coca devant, comme l’artiste l’avait souhaité. Cela n’empêche pas un groupe de rock composé de narcotrafiquants cagoulés de s’en donner à cœur joie sur les deux écrans vidéo qui font office de fenêtre. En face, Cajas Fucsia (1996-2001) de son compatriote Juan Fernando Herrán n’offre pas non plus une vision idyllique du pays : le soleil, l’argent, la drogue et les armes. Dessinées à même les murs d’après des photographies de presse, des petites vignettes soignées côtoient les aveux de différents corrompus, alors qu’une pile de paquets cadeaux-roses teintent l’ensemble d’un air angélique.
Le Brésil n’est plus une dictature militaire, le Chili a commencé à expier Pinochet, mais, comme semble le symboliser les révolutions de Francis Alÿs et de son troupeau autour d’un obélisque dans Cuentos Patrios, les moutons suivent toujours. Quant à la scène artistique, de plus en plus présente au niveau international, elle continue à se nourrir de son opposition et à pousser dans les interstices. Comme pour rappeler cette vigueur fragile, María Teresa Hincapié fait pousser dans Divina proporcíon (1996) de la mauvaise herbe sur le sol aride du musée.
- DA ADVERSIDADE VIVEMOS, jusqu’au 30 septembre, Arc/Musée d’art moderne de la Ville de Paris, 11 avenue du Président Wilson, 75116 Paris, tlj sauf lundi, 10h-17h30, samedi et dimanche 10h-18h45, cat., 224 p., 290 F, www.paris-france.org/musees
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Hermanas, hermanos
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°130 du 29 juin 2001, avec le titre suivant : Hermanas, hermanos