Méthodique, acharné, Matisse revint souvent à un même motif pour en livrer plusieurs œuvres, certain que la paire, voire la série, lui permettait de travailler au corps la peinture. Autopsie d’une méthode.
Si les vastes salles du Musée national d’art moderne, Centre Georges Pompidou produisent, à mesure que l’on avance, une curieuse impression, c’est que le parcours de l’exposition – chronologique, de 1899 à 1952 – entend présenter des paires, des diptyques, des triades, des quatuors, autant de formules numérales destinées à illustrer le procédé de la série chez Matisse (1869-1954).
Preuve, par l’image, que l’émancipation de la peinture, au XXe siècle, passa par une répudiation des formules anciennes, souvent trop solennelles : l’unique est un fantasme fatigué quand la série et la variation garantissent une esthétique régénérée, une mathématique appliquée, certes, mais expérimentale. Henri Matisse, ce peintre non-euclidien, capable d’équations inédites, quand l’addition n’est pas une égalité, la redondance pas une redite. Quand des natures mortes ne sauraient être exactement les mêmes (1899), quand un poisson crevé suffit à changer une grande falaise (1920).
Traduire, trahir
Penser l’acte de peindre comme un travail sur la série, envisager la toile comme le numéro d’une séquence, interroger la question de l’itération, cela revient à oublier l’œuvre pour réfléchir sur l’image, à délaisser la présentation pour la représentation, la chose pour son pouvoir, pour son statut.
Lorsque, au seuil de la guerre, Henri Matisse peint à deux reprises Notre-Dame (1914), il observe moins la cathédrale que les moyens que lui offre sa peinture pour observer la cathédrale. Il n’est donc pas tant question d’une œuvre que d’une mise en œuvre, le sujet n’étant qu’un alibi pour explorer non pas la vue mais la vision, à savoir la couleur et la perspective, la malléabilité du monde.
L’exceptionnelle confrontation entre Luxe, calme et volupté et son antécédent – Le Goûter – atteste combien, entre l’été et l’automne 1904, Matisse parvient à excéder le motif pour renouveler sa vision, peuplant l’espace de figures puvisiennes et sondant des effets de surface et de volume. De même, la série d’intérieurs de 1948 donne à voir – relative – la force d’un regard et d’une technique, capable de subordonner la reproduction à l’expression, la main à l’esprit.
C’est moins de sujet que de forme dont il s’agit, et Henri Matisse, par le pluriel, remet en cause la singularité. Comme si – nouveau truisme écorché – l’identité avait affaire avec l’identique, comme si ces pommes répétées, retravaillées, ressassées perdaient un peu de leur originalité (1916).
Au terme de cette magistrale démonstration, le trouble est persistant. Doit-on l’imputer à ces doublons visuels, comme autant de jumeaux formels, ou à un exercice souvent rêvé, et aujourd’hui rendu possible : celui de la comparaison, quand, devant des Nus bleus déclinés (1952), on se prend à chercher quelques différences, certaines trahisons, sept erreurs. Et surtout, à imaginer l’inventivité et la jouissance qui engendrèrent cette labilité plastique.
Informations pratiques. « Matisse. Paires et séries », du 7 mars au 18 juin 2012. Centre Georges Pompidou. Ouvert tous les jours sauf le mardi de 11 h à 21 h. Tarifs : 13 et 10 e ou 11 et 9 € selon périodes. www.centrepompidou.fr
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Henri Matisse, serial painter
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°644 du 1 mars 2012, avec le titre suivant : Henri Matisse, serial painter