MONACO
Alors qu’il s’installe à Monaco pour la dernière partie de sa carrière, le photographe de mode s’oriente vers une esthétique toujours aussi sophistiquée mais décalée.
Monaco. Ce n’est pas la première exposition sur Helmut Newton (1920-2004), mais c’est la première à se focaliser sur l’œuvre réalisée lorsqu’il résidait sur la Riviera. Excepté une pièce, toutes les photographies ont été faites dans cette région, entre 1975 et 1998.
Cosignée entre Guillaume de Sardes, chargé du développement au Nouveau Musée national de Monaco, et Matthias Harder, directeur de la Helmut Newton Foundation, cette monographie est la première réalisée après la mort l’an dernier de June Newton (alias Alice Springs), qui partagea durant plus de cinquante ans la vie du célèbre photographe et dont le regard sur l’œuvre a imprégné les expositions qui ont été consacrées. « Newton, Riviera » ne révolutionne pas pour autant la vision sur l’œuvre, mais elle précise deux spécificités, peu ou pas explorées : l’influence du surréalisme sur Newton et l’importance de la Riviera, du point du vue tant personnel que de sa création photographique, située pour plus d’un tiers de sa production totale dans cette région.
Saint-Tropez, Ramatuelle, Antibes, Cannes ou Monaco ont formé en effet le cadre de prises de vue audacieuses, facétieuses et libres. Piscine, bord de mer, terrasse, palace, Festival de Cannes, camping, garage ou chantier : Newton joue des contrastes entre ses modèles de femmes puissantes et les codes de l’érotisme, du glamour et de la vulgarité, mais aussi du luxe et de la jet-set. Il impose son point de vue à ses clients, magazines de mode ou couturiers, et affirme son esthétique.
Pour Newton et le couple qu’il a formé avec June, la Riviera a rimé aussi avec les étés passés dans la propriété achetée en 1964 près de Ramatuelle (Var), villa que fréquentent Ralph Gibson, Jacques Henri Lartigue ou Charlotte Rampling comme le montrent des planches-contacts agrandies. Portraits de June devant la maison décrépite le jour de son achat, ou suspendue, nue, à la branche d’un saule à la frêle frondaison pliant sous le vent. Portrait de Newton saisi par June : l’appareil passe d’une main à l’autre. L’installation à Monaco en 1981 pour raisons fiscales ouvre un autre temps. Newton a 61 ans, et derrière lui une carrière établie ; il entame « la période sans conteste la plus libre de sa carrière », estime Guillaume de Sardes, avec nombre d’images réalisées souvent dans le prolongement des prises de vue commandées par un magazine ou un couturier. L’exposition est à ce titre riche en photographies inédites, notamment lorsqu’elle aborde plus spécifiquement les réappropriations par Newton des thèmes surréalistes, qu’il s’agisse de l’œil, de la poupée, du mannequin, du voyeurisme ou du sado-masochisme. La salle réservée aux Ballets de Monte-Carlo, photographiés par Newton à la demande de la princesse Caroline de Hanovre, constitue de son côté un corpus d’images inédites tandis que, en fin de parcours, la reconstitution du salon de l’appartement du couple à Monaco, avec mobilier, objets et livres, est l’un des temps marquants de l’exposition.
Portraits de stars, de mannequins célèbres ou de la famille princière, en particulier de la princesse Caroline, ou du couturier Karl Lagerfeld dont il apercevait la villa depuis son appartement monégasque : Newton connaît bien cette société. « Je suis intéressé par une société qui paraît riche et dont je comprends le fonctionnement, car je ne photographie que ce que je comprends », disait-il. L’imagerie percutante de Newton souffre toutefois à la Villa Sauber d’un « trop » de photos, mais le catalogue comporte des analyses nouvelles et instructives. Ainsi du texte de Guillaume de Sardes sur l’influence de surréalisme et de l’analyse de Simone Klein sur la manière dont Newton est passé du statut de photographe de mode à celui de photographe reconnu par le milieu de l’art et de son marché.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°593 du 8 juillet 2022, avec le titre suivant : Helmut Newton sur la Côte d’Azur