Le photographe fétiche de « Vogue » est décédé accidentellement à Los Angeles le 23 janvier. Il révolutionna la photographie de mode avant d’entrer au musée.
PARIS - Le 23 janvier, dans la Cité des Anges, tout un pan de l’histoire de la photographie du XXe siècle s’est envolé. Le monde de l’art autant que celui de la mode, du show-business ou de la politique ont pris le deuil à l’annonce du décès du sulfureux photographe Helmut Newton, âgé de 83 ans. Au sortir d’un hôtel chic, celui qui révolutionna les mœurs de la photographie de mode dès la fin des années 1950 a perdu le contrôle de son automobile, et la vie, sur Sunset Boulevard, dans l’un des carrés VIP les plus courus du monde : ses quartiers d’hiver, à Hollywood (Californie). Soit au cœur du temple d’un glamour dont il est si souvent parti en quête tout au long de sa prestigieuse carrière.
Internationalement connu, ennemi du bon goût et jouant avec les ficelles de la vulgarité, il doit notamment sa renommée à ses célèbres « Big Nudes ». Des photographies de grand format, en noir et blanc exclusivement, qui ont fait crier au scandale les féministes dès les années 1970. Ces œuvres méticuleusement travaillées présentent dans le plus simple appareil et en talons aiguilles de belles femmes sophistiquées et longilignes. Des icônes sculpturales aussi sensuelles que dominatrices.
Avant que les magazines du monde entier comme les musées ne se l’arrachent et que ce maître es séduction et provocation, daltonien de surcroît, ne fixe le prix de ses journées de travail à 5 000 euros, l’histoire d’Helmut Newton est celle d’un simple jeune homme issu d’un milieu aisé.
Passionné de photographie, il s’achète son premier appareil à l’âge de 12 ans et fixe sur la pellicule tout ce qui bouge. Né en 1920 à Berlin dans une famille juive, celui qui n’est encore que Helmut Neusdaedter quitte l’école à 16 ans pour se consacrer à sa passion et entrer dans le studio d’un photographe de mode très réputé. Mais la menace nazie s’amplifie, et il quitte la capitale allemande en 1938 à bord du premier bateau qui lui promet une destination lointaine. À Singapour, où il est engagé et aussitôt renvoyé du grand quotidien Strait Times, il réalise que son ultime désir est de devenir photographe pour Vogue. À Melbourne, où il devient citoyen australien, il se rebaptise « Newton » et ouvre son propre studio consacré à la photo de mode : son ambition prend alors réellement corps. Ses premières collaborations avec la presse commencent dans les années 1960 alors que le genre ne s’est pas encore libéré de ses carcans, corsets et poses hiératiques. Les éditions anglaise et française de Vogue, Le Jardin des Modes, Elle, Marie-Claire… très vite, il est de toutes les aventures. En compagnie d’amis photographes tels que Jeanloup Sieff ou Guy Bourdin, Newton signe l’arrêt de mort de la femme d’intérieur étriquée sur papier glacé. Les décors naturels sont privilégiés et le mouvement fait son apparition. La photo de mode se met à respirer et Newton en devient le photoreporter de chic et de choc. Dans les hôtels, en avion ou à l’arrière des décapotables, les modèles se métamorphosent en de véritables supports du désir et du fantasme. Le glamour Newtonien est né et Vogue est son fief. Il se promène dans les antichambres d’une bourgeoisie où les femmes belles, jeunes et aisées dévoilent leur audacieuse sensualité. Le fourreau fendu, en petite tenue, en bas résille et talons hauts. Mode, pouvoir, sexe et argent flirtent dangereusement.
Roi du porno chic pour certains, artiste sachant émulsionner la sensualité des belles qu’il traque pour d’autres, Newton n’en finit pas jusqu’à la fin de sa carrière de se nourrir avec amusement des controverses et des scandales que ses images provoquent. C’est l’évolution des mœurs et la question féminine qui est surtout en jeu à ses yeux. La publication jugée scandaleuse de son livre White Women (Femmes blanches) dans les années 1970 ne fait rien de plus que faire monter les enchères de ses « Big Nudes » et classer définitivement ces œuvres au rang d’icônes. En 1975 démarrent ses premières expositions à travers le monde. Peu à peu, il se consacre essentiellement à l’art, qu’il réconcilie avec la mode. En 1990, il obtient même en France le Grand Prix national de la photographie. Les célébrités se succèdent dans ses portraits : Ava Gardner, Andy Warhol, Catherine Deneuve… La fin de sa vie est marquée en parallèle par des actions en faveur de la liberté de la presse et des portraits politiques, une manière de chasser les fantômes de l’histoire.
En octobre 2003, il léguait une partie de son œuvre à Berlin et symbolisait ainsi sa réconciliation avec la ville qu’il avait jadis dû quitter. Décédé quelques mois plus tard, Berlin, qui se voit enrichie d’un don de poids, est aussi la ville de ses funérailles. Une ancienne bibliothèque d’art des quartiers ouest, sa dernière vision de Berlin en 1938, deviendra le dôme du glamour en lui consacrant dès l’été prochain une exposition à la mesure de son talent et de son aura. La nouvelle Galerie nationale du Jeu de paume lui dédiera quant à elle une monographie en mai.
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Helmut Newton, la photographie en deuil
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°186 du 6 février 2004, avec le titre suivant : Helmut Newton, la photographie en deuil