Redécouverte

Hans Richter et l’idéal collectif

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 29 octobre 2013 - 763 mots

Entre interdisciplinarité et nécessité du collectif, le Centre Pompidou-Metz dessine la trajectoire singulière de Hans Richter à travers l’histoire de l’art du XXe siècle.

METZ - Traverser l’exposition consacrée à Hans Richter (1888-1976) par le Centre Pompidou-Metz revient, ainsi que laisse entendre le titre « La Traversée du siècle », à parcourir une vaste période mais aussi à se frayer un chemin à travers les idéaux d’une aventure artistique qui ne peut se concevoir à travers le seul prisme d’une figure isolée. Quand bien même est-elle celle d’un des grands artisans de l’inscription du film dans le concert des arts du XXe siècle.

Juif né à Berlin, l’artiste suit peu ou prou l’itinéraire de nombreuses figures des avant-gardes : il s’installe à Zürich au cours de la Première Guerre mondiale et participe à l’aventure de Dada, puis voyage à travers toute l’Europe jusqu’à un exil définitif aux États-Unis, en 1941, afin de fuir le nazisme. Une mobilité qui partout s’accompagne de rencontres et de recherches, de désirs de création et de quêtes d’expérimentation.

Le goût de la diversité se fait jour dès le milieu des années 1910, où Richter oscille de dessins en peintures, entre figuration et amorce d’une voie plus abstraite. Des linogravures de 1916, encore très marquées par une veine expressionniste, cohabitent avec des encres très gestuelles et impulsives où se dilue peu à peu la problématique de la ressemblance afin d’aboutir à des œuvres portées par le contraste du noir et blanc ; un goût qui très tôt installe une préoccupation pour le positif/négatif qui sera l’un des éléments moteurs de la recherche filmique à venir. Remarquable est également une salle emplie de portraits aux couleurs très affirmées, des huiles pour la plupart, qui dans les mêmes années 1916-1917 montrent la grande diversité de traitements qui anime l’artiste, lorsque les visages apparaissent anguleux et découpés ou à l’inverse partiellement brouillés par la fluidité de la matière.

Pionner du cinéma abstrait
Le rythme parcourant ces figures devient un fil conducteur du travail permettant une réinvention du film au début des années 1920. Dès 1921 et la réalisation de Rhythmus 21, suivi deux ans plus tard par Rhythmus 23, c’est une conception rythmique de la surface où s’enchaînent et se télescopent des figures géométriques qui s’imposent. Ce que confirment, exposés à proximité, certains des rouleaux de toiles sur lesquels se déploient les motifs retrouvés dans les films, et qui ne sont pas sans évoquer l’aspect d’une partition revisitée avec des volumes. La veine créative de l’artiste non seulement embrasse des formes et schémas fort divers, mais surtout fait sienne le credo d’une interdisciplinarité poussée à l’extrême, où le film se pose comme lieu de synthèse et de circulation d’expressions de différentes natures. Surtout, Richter impose dès lors de lire le film à l’aune de l’histoire de l’art et non de celle du cinéma.

Dès la fin des années 1920, le vocabulaire filmique évolue amplement, s’éloignant de la seule géométrie pour embrasser une expression cinématographique variée, marquée par le surréalisme et une veine très onirique que donne à voir notamment Fantômes avant déjeuner (1926-1927), où se manifeste une révolte des objets contre leur fonction. Ce n’est cependant pas le cas de la production plastique qui reste, elle, très portée par la découpe et l’empilement de strates. En témoignent des travaux des années 1960, en métal pour beaucoup, qui tout en étant d’honorable facture n’en apparaissent pas moins figés comme dans une époque qui n’est plus vraiment la leur.

Rencontres et influences
L’un des intérêts de cette exposition est en outre de parfaitement resituer la dimension collective du travail de Hans Richter. Une salle consacrée à Dada regroupe de nombreux artistes et éclaire la dynamique et les échanges d’une époque à laquelle il a plus tard consacré un film mémoire, Dadascope (1956-1961). Tandis que Rêves à vendre (1944-1947), premier film américain, tente de réunir un cercle brisé par la guerre en confiant à Léger, Calder, Duchamp, Man Ray ou Ernst la réalisation d’une section du film. Collectif toujours lorsque l’artiste publie de 1923 à 1926 cinq numéros de la revue G à laquelle participent autant les constructivistes que Mies Van der Rohe ou des tenants de De Stijl, et qui, à travers la diversité de leurs contributions, incarnent toujours ce fameux idéal d’interdisciplinarité.

HANS RICHTER. La traversée du siècle

Jusqu’au 24 février, Centre Pompidou Metz, 1, parvis des Droits de l’Homme, 57000 Metz, tél. 03 87 15 39 39, centre-pompidou-metz.fr. Catalogue éd. Centre Pompidou-Metz, 224 p., 39 €.

Commissariat : Philippe-Alain Michaud, conservateur au Centre Pompidou et Timothy O. Benson, conservateur au LACMA.
Nombre d’œuvres : 210

Légende photo

Hans Richter, Rythme 23, 1923, huile sur rouleau en toile, 70 x 420 cm, Deutsches Filmmuseum, Francfort. © Hans Richter Estate.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°400 du 1 novembre 2013, avec le titre suivant : Hans Richter et l’idéal collectif

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