Trente ans que le maître n’avait pas eu de rétrospective en France ! Le président d’Orsay et commissaire général de l’exposition donne les grandes lignes de l’événement du Grand Palais.
L’œil : Trente ans après l’hommage qui avait été rendu à Claude Monet au Grand Palais, qu’est-ce qui justifie une telle exposition ?
Guy Cogeval : Justement parce que cela fait trente ans ! C’est-à-dire qu’une génération et demie n’a pas vu Monet et qu’il y a eu, depuis, plusieurs grandes expositions dans le monde qui l’ont resitué comme l’un des grands créateurs du XXe siècle. Aussi je m’étais toujours dit que, si un jour j’étais directeur du musée d’Orsay, j’aimerais bien faire une telle exposition. Quand j’en ai parlé autour de moi, un peu avant ma nomination, j’ai très vite mesuré que beaucoup de gens pensaient pareillement et qu’il était grand temps de remettre Monet au centre des préoccupations du musée. Si l’exposition de 1980 était très complète et très belle, il convenait de faire la place maintenant aux recherches sur Monet menées ces dernières années et en particulier à la recherche anglo-saxonne…
L’œil : Qu’avons-nous justement appris depuis trente ans sur son œuvre que nous ne connaissions alors ?
G. C. : On a appris à mieux voir la connexion entre les lieux peints par Monet, l’histoire et la progression de la technique de la peinture. D’une certaine manière, j’ai le sentiment qu’il y a trente ou quarante ans, l’impressionnisme était un phénomène global et que ce qui comptait – c’est un peu le discours de Malraux –, c’était plus la manière de peindre que le sujet. Or les recherches d’historiens comme Richard Thomson ou John House et maintenant de nouveaux historiens d’art français s’intéressent beaucoup plus à la prégnance des lieux. Ce n’est pas le même Monet qui peint les ciels de la Normandie, la lumière mordorée de la Creuse qui frise les bosquets dans les vallées et l’éblouissement de l’Italie à Bordighera ou à Venise. L’exposition tend à rendre compte de cela.
L’œil : Comment l’avez-vous conçue ?
G. C. : Je l’ai tout d’abord conçue politiquement parce qu’il fallait l’installer dans le panorama des projets parisiens. Cela a été plus ou moins facile avec certaines institutions. Il est évident que j’aurais préféré que le musée Marmottan, qui est dépositaire de la plus grande collection de Monet, soit dans le projet plutôt qu’en dehors. Ils en ont décidé autrement, grand bien leur fasse. Le nombre de prêts que nous gérons dans l’exposition avoisine les cent quatre-vingts. S’il y a une cinquantaine d’œuvres qui viennent de chez nous, une majorité vient du monde entier et il faudrait passer une vie entière à voir tous ces lieux pour essayer de connecter ce qui sera rassemblé au Grand Palais. Ce sera une vraie grande surprise. Par ailleurs, si je n’ai pas voulu jouer ce jeu de Monet et le contemporain, qui est devenu un peu une tarte à la crème, j’ai tenu à faire une exception en organisant pour la première fois la confrontation entre les Cathédrales de Monet et celles de Lichtenstein [voir p. 73]. C’est une incursion du Pop Art à laquelle on ne pense pas naturellement car ce sont bien plus les noms de Sam Francis, Riopelle ou Joan Mitchell qui viennent à l’esprit quand on envisage Monet versant américain. Enfin, mon souci a été de montrer que le Monet de 1860 n’est pas celui des Nymphéas et qu’entre-temps beaucoup de Monet se sont succédé. Il me semblait important de montrer qu’il est à la fois multiple, par périodes, mais malgré tout entier.
L’œil : En quoi l’art de Monet dépasse-t-il pour vous le champ stricto sensu de l’impressionnisme ?
G. C. : Monet est bien au-delà de l’impressionnisme. D’abord, pour les étrangers, Monet, c’est la France. Cela paraît bizarre. Nous n’avons pas voulu une exposition cocorico, mais c’est vrai que nous nous sommes intéressés aux territoires, à la Nation. Richard Thomson – qui est anglais – insiste beaucoup sur cette question du nationalisme chez Monet. Pour ma part, plus que l’inventeur de l’impressionnisme, je vois en Monet quelqu’un de très sensible au rapport matière-lumière, lequel est au centre de la pensée moderne, je dirais même pré-einsteinienne. Parce qu’il a eu la prescience d’un tableau qui court autour de nous et nous enveloppe totalement, parce qu’il a cherché à nous immerger dans une totalité sensorielle, presque musicale, Monet est bien au-delà de l’impressionnisme. On est déjà en plein XXe siècle.
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Guy Cogeval : « Monet est bien au-delà de l’impressionnisme »
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°627 du 1 septembre 2010, avec le titre suivant : Guy Cogeval : « Monet est bien au-delà de l’impressionnisme »