La France et la Suède au XVIIIe siècle

Gustave III, un roi amoureux de la France

Une exposition au Grand Palais évoque une idylle sans précédent entre l’étoile du Nord et le Soleil

Par Emmanuel Fessy · Le Journal des Arts

Le 1 mars 1994 - 916 mots

Deux siècles avant la rupture des accords entre Renault et Volvo, les relations entre la France et la Suède vivaient une idylle sans précédent, grâce à un roi, Gustave III, encore plus francophile que ses prédécesseurs. Une exposition au Grand Palais nous le rappelle et nous permet de retrouver un souverain attachant, moins présent dans nos mémoires que la reine Christine. Cette exposition est le point d’orgue d’une grande série de manifestations culturelles franco-suédoises.

PARIS - "Me voici enfin arrivé, ma chère soeur, à ce Paris tant souhaité et dont on est tant occupé chez nous." Le 7 février 1771, Gustave est encore prince royal, mais il réalise son rêve, venir en France. Un rêve, car ce jeune prince de 25 ans s’est nourri de culture française. Tout jeune enfant, il étudie Corneille, Racine, Montesquieu, Rousseau et surtout Voltaire à qui il vouera durant toute sa vie une admiration sans faille. En revanche, il trouve les lettres de Madame Sévigné "fort ennuyantes". Mais, à l’âge de 11 ans, il plaidera l’indulgence : "Il faut dire à mon excuse que je ne savais pas dans ce temps-là l’histoire de France comme je la sais à présent. Je crois que si je les relisais encore une fois, je les trouverais plus amusantes", écrit-il… en français, comme en témoignent les nombreuses lettres qu’il a laissées, la plupart dans une orthographe étonnante car ce souverain cultivé était brouillé avec l’orthographe.

Il n’est pas surprenant qu’une fois roi, Gustave III mette son pouvoir au service de cette passion. D’autant plus qu’il a la ferme intention de devenir un grand roi et de compter parmi les princes éclairés du Siècle des Lumières. Son règne (1771-1792) sera celui d’une entente culturelle et diplomatique à faire pâlir de jalousie nos contemporains.

Lorsqu’il revient en France en 1784, en tant que roi cette fois, il est jugé "infatigable". "Le matin il visite bâtiments, monuments et institutions, le soir il se rend au spectacle ou dans le monde", relate un journal de l’époque. Il parcourt le pays de Versailles à Toulon, via Lyon où en son honneur on lance une montgolfière baptisée, "La Gustave". "Je me porte à merveille et je me crois retourné dans ma patrie depuis que je suis en France", écrit-il au comte de Creutz, ambassadeur près la Cour de France. Il y séjourne six semaines et ira deux fois à la Comédie Française voir le Mariage de Figaro. "Cette pièce est plus insolente qu’indécente", juge celui qui demandera à rencontrer Beaumarchais. La rencontre fut enthousiaste : "Heureux les Suédois qu’il gouverne ! La littérature, l’histoire et les sciences et les arts, tout lui est familier", s’exclame Beaumarchais.

Disciple de Le Nôtre
"Nul roi ne s’est tant intéressé au théâtre ni n’a autant favorisé le théâtre que Gustave III", estime Gunnar von Proschwitz, dans le catalogue de l’exposition. "De son vivant, on est allé jusqu’à le qualifier de roi de théâtre. Non seulement, il fait jouer des pièces, mais il en écrit en suédois et en français".

Gustave III s’inspire des modèles français pour créer les grandes institutions culturelles suédoises, l’Opéra, le Théâtre dramatique, les Académies. Il fait venir à sa Cour de nombreux artistes, comme Louis-Jean Desprez (lire l’article ci-contre sur l’exposition Desprez au Louvre).

Il est vrai que le XVIIIe siècle est le siècle du cosmopolitisme et la France le foyer des idées nouvelles. "Paris est le salon de l’Europe et lui donne le ton", estime Gunnar von Proschwitz. Il est vrai également qu’un intérêt pour la culture française s’était déjà manifesté au siècle précédent. Charles XI avait choisi comme emblème l’Étoile du Nord, en hommage au Soleil de Louis XIV. Le grand architecte des bâtiments royaux, Nicodemus, comte de Tessin (1654-1728), qui fut chargé de la reconstruction du Palais Royal, ravagé en 1697 par un incendie, avait séjourné en France. Devenu un disciple de Le Nôtre, il s’inspire de Versailles et fait venir en Suède peintres et sculpteurs.

Son fils, Carl Gustaf Tessin, fut ambassadeur à la Cour de France de 1739 à 1742. Il achète un ensemble remarquable d’art français, quitte à susciter des critiques chez certains de ses contemporains. Cette collection est aujourd’hui l’un des joyaux du Musée national de Stockholm, et revient en France à l’occasion de l’exposition au Grand Palais. Celle-ci montre, avec des plans ou des dessins, comment la France acquiert une influence dominante dans le décor des manoirs suédois, le tissu précieux des chambres à coucher, les tapisseries – tissées à Beauvais –, les sièges…

 Elle évoque l’Académie de dessin du Français Taraval, consacrée à la formation de peintres et de dessinateurs, elle fait venir les fonds baptismaux monumentaux en argent, de Jean-François Cousinet, l’une des pièces maîtresses de l’ensemble présenté à Paris. Le couvert, absent de l’exposition à Versailles, "Les tables Royales", sera dressé au Grand Palais. Au XVIIIe siècle, autour de cette table, on conversait souvent en français. Et la langue suédoise a gardé des mots d’emprunt comme drame, costume, cabriolet, tact, persifler…

Gustave III fut assassiné lors d’un bal masqué. Sa disparition marqua brutalement la fin de cette idylle franco-suédoise. L’assassinat d’un roi de théâtre n’inspira pas un auteur dramatique, mais un compositeur, Verdi, pour son opéra, "Le Bal masqué"…

Le Soleil et l’Étoile du Nord. La France et la Suède au XVIIIe siècle, Paris, Galeries Nationales du Grand Palais, 18 mars - 13 juin. Exposition organisée par l’Association française d’action artistique (AFAA, ministère français des affaires étrangères) et le Musée national de Stockholm, où elle avait été présentée durant l’hiver 1993.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°1 du 1 mars 1994, avec le titre suivant : Gustave III, un roi amoureux de la France

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