Une carrière tient à bien peu de choses, parfois même à la météo. En 1861, Gustave Guillaumet, élève aux Beaux-Arts, échoue de peu au concours du prix de Rome dans la catégorie paysage historique.
Qu’importe, le jeune peintre décide de faire à ses frais le voyage en Italie et se rend à Marseille pour prendre le bateau. Or son esquif est retenu à quai à cause d’une violente tempête balayant les côtes de la Péninsule. Le hasard, ou le destin, veulent que le seul bateau en partance ce jour-là aille à Alger. Sur les conseils de Charlemagne Robert, son compagnon de voyage qui a de la famille en Algérie, les deux jeunes gens embarquent donc pour le Maghreb. Pour Guillaumet, ce voyage inopiné est décisif, car il tombe littéralement sous le charme du pays, de ses habitants et de ses paysages. En une vingtaine d’années, il effectue ainsi onze longs séjours en Algérie, arpentant même les zones les moins accessibles aux Occidentaux comme le Sud désertique. L’artiste côtoie, comme aucun autre peintre auparavant, la population et l’appréhende à la manière d’un ethnographe : sans cliché ni exotisme de pacotille, mais avec une profonde empathie. Cette proximité lui permet d’observer la population au plus près et de livrer un témoignage réaliste sur la vie des Algériens et leurs activités traditionnelles, mais aussi de rendre compte des bouleversements induits par la colonisation, sur laquelle il porte un regard lucide, voire critique. Tel un reporter, il livre ainsi un témoignage sans concession sur les conditions rudimentaires dans lesquelles vivent les paysans, par exemple dans la terrible scène de La Famine ; il immortalise aussi le massacre des rebelles, notamment dans la saisissante Razzia.À l’exception de son célèbre Sahara, Guillaumet était tombé dans les oubliettes de l’histoire de l’art. La grande rétrospective que lui consacre La Piscine, la première depuis le XIXe siècle, lui rend la place de premier plan qui est la sienne et permet de faire entendre à nouveau cette voix singulière et attachante.
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°723 du 1 mai 2019, avec le titre suivant : Guillaumet : un orientaliste pas comme les autres