MAISONS-LAFFITTE
À l’été 1882, le peintre russe accueillit un groupe d’artistes finlandais au château de Maisons. Ce séjour aux airs de dolce vita est commémoré en écho à l’exposition « Albert Edelfelt » qui se tient actuellement au Petit Palais.
Maisons-Laffitte (Yvelines). En travaillant sur le néo-rococo en Finlande, l’historienne de l’art Laura Gutman a réalisé que « deux tableaux de Gunnar Berndtson, La Chasse aux papillons et Femme à l’oiseau, étaient peints au château de Maisons ». Elle a alors entamé des recherches pour une exposition évoquant la présence de ce peintre à Maisons-Laffitte. Aujourd’hui présentée sous son commissariat, cette manifestation montre ces œuvres et met en lumière le dernier propriétaire privé du château, Wilhelm Tilman Grommé (1836-1900).
En 1882, le peintre finlandais Adolf von Becker (1831-1909), qui réside à Paris lorsqu’il n’enseigne pas la peinture à Helsinki, cherche un vaste atelier. Son compatriote Elias Lönnrot, auteur de la fameuse épopée nationale Le Kalevala, lui a commandé, en mémoire de sa fille, un grand tableau d’autel qui prendra place dans l’église finlandaise de Sammati. Propriétaire depuis cinq ans du château de Maisons, Grommé propose à son ami von Becker de transformer en atelier l’ancienne église Saint-Nicolas qui fait partie du domaine. Ce Russe polyglotte, descendant d’une lignée française protestante d’abord installée en Allemagne, est très attaché à la Finlande où sa famille possède la villa Onnela à Vyborg. Son père a d’ailleurs obtenu la nationalité finlandaise.
Au décès de celui-ci, Wilhelm a hérité d’une fortune lui permettant d’acheter Maisons. Il y séjourne peu, caressant le rêve d’y faire venir une colonie d’artistes, car lui-même est peintre et illustrateur. Il invite donc Adolf von Becker à ne pas se rendre seul au château : Gunnar Berndtson (1854-1895) et Albert Edelfelt (1854-1905) l’accompagnent, ainsi que la modèle d’Edelfelt, connue sous son nom de peintre, Antonia Bonjean (1856-1925). Ils fréquentent également le peintre russe Vassili Verechtchaguine (1842-1904), qui vit dans les environs car il a acquis une parcelle du terrain de Grommé. Enfin, ce dernier fait venir le photographe et inventeur Louis A. Mante (1826-1913) pour immortaliser le souvenir de cet été particulier. Le journaliste Albert Wolff et le sculpteur Walter Runeberg sont aussi venus visiter la petite colonie reçue dans le plus grand confort.
Outre des objets de la collection de Grommé et deux paysages non datés de sa main ainsi qu’un autre de Verechtchaguine, le parcours montre, dans la salle de bal du château, des œuvres réalisées pendant l’été 1882 par ces artistes : Von Becker a représenté Antonia Louise Bonjean dans le parc de Maisons et une fillette chez le boucher du village, achetant du mou pour son chat ; Berndtson a imaginé, pour Soyez le bienvenu !, une scène du XVIIIe siècle sur le perron du château donnant vers la Seine ; Grommé a réalisé le Portrait d’Adolf von Becker… Les photographies de Mante, imprimées sur de grands panneaux de tulle, participent à la restitution de l’ambiance chic et détendue de ce séjour. À l’occasion de l’exposition, sept peintures de Grommé qui dormaient depuis longtemps enroulées dans les réserves sont accrochées dans une scénographie évoquant le « cabinet aux miroirs » du château. Ces grandes toiles représentant des déesses antiques se superposaient aux glaces de ce magnifique petit salon. Dégradées par leurs conditions de conservation et par le fait qu’elles avaient été recouvertes de papier peint, elles ont été restaurées grâce aux Amis du château et bénéficieront après l’exposition d’un espace dédié.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°587 du 15 avril 2022, avec le titre suivant : Grommé et le bel été