Après « L’âge d’or de la peinture danoise », le Petit Palais poursuit son exploration des artistes nordiques avec l’exposition consacrée à Albert Edelfelt, qui contribua à la reconnaissance d’un art finlandais à la fin du XIXe siècle.
Une lumière nordique, une tendresse émanant des visages… Les peintures d’Albert Edelfelt nous transportent sur les terres de son enfance. À une époque où sa patrie était sous le joug russe, il fut le précurseur d’un art finlandais, même s’il fit carrière à Paris où il fut remarqué par les critiques. L’une de ses toiles, Le Service divin, peinte en 1881 et aujourd’hui conservée à Orsay, fut même la première œuvre finlandaise achetée par l’État français. « Les peintres finlandais actuels doivent beaucoup, ils doivent tout à Edelfelt pour leur émancipation artistique. Edelfelt fut, au moment nécessaire, le trait d’union entre la Finlande et Paris », écrira en 1908 le critique Étienne Avenard.
Pourtant, Edelfelt est aujourd’hui méconnu en France. S’il n’exprime une revendication patriotique qu’à travers ses dernières toiles, ce fils d’une famille bourgeoise finlandaise qui lui transmet un goût prononcé pour les arts et la poésie, entre en 1874, à l’âge de 20 ans, dans l’atelier de Jean-Léon Gérôme, au sein des Beaux-Arts de Paris. On imagine sa joie. Paris est alors devenue la capitale des arts. Comme beaucoup de jeunes artistes, Albert Edelfelt entend y faire ses armes. Influencé par son maître, il peint dans une veine historiciste. Mais bientôt une rencontre bouleverse sa peinture, celle de Jules Bastien-Lepage, chantre du naturalisme. Fini alors les drames de l’histoire aux couleurs sombres ! Ses toiles s’imprègnent peu à peu d’un réalisme aux accents impressionnistes, pour exprimer en particulier la poésie de son pays natal. Si c’est un portrait qui le rend véritablement célèbre – celui de son ami Louis Pasteur, qu’il réalise en 1886, alors que ce dernier vient de mettre au point le vaccin contre la rage –, s’il peint aussi des scènes parisiennes, Albert Edelfelt puise aussi et surtout son inspiration dans la vie rurale et les traditions finlandaises. Avec l’acquisition par l’État français, en 1882, de Service divin au bord de la mer, il devient l’un des plus ardents porte-parole de son pays.
Pour peindre cette cérémonie religieuse dans sa région natale, Edelfelt s’est inspiré d’une messe en plein air à laquelle il a assisté sur l’archipel de Pellinki, lors d’un voyage en bateau – au XIXe siècle des services religieux sont en effet organisés dans les archipels finlandais, car les familles de pêcheurs n’ont pas le temps de se rendre à l’église sur le continent. Le peintre a cependant entièrement recomposé la scène à partir de nombreuses études et croquis. Il y a, par exemple, ajouté une vieille cabane de pêcheur à moitié en ruines, qui se trouvait sur un autre site, sur le cap éloigné de Haikko, là où il passait ses étés. La nappe de l’autel est ainsi ornée d’une croix en écorce de pin, comme celles que les paysans finlandais disposaient pour décorer le sol de leurs maisons les jours de fête. « Malgré son sujet religieux, Edelfelt ne cherche pas à insuffler à sa toile une dimension spirituelle ou symboliste », remarque Anne-Charlotte Cathelineau, commissaire de l’exposition « Albert Edelfelt. Lumières de Finlande ». Son dessein ? Représenter la vie locale de sa terre natale.
Quoi ? Un pêcheur au visage buriné prêterait ses traits à un pasteur ? Voilà qui manque singulièrement de « raffinement » et « d’expression de l’âme », critique la presse finlandaise en découvrant ce tableau. Il n’empêche. Albert Edelfelt séduit le public et la critique par la tendresse qui émane de ses personnages. De fait, pour figurer la vingtaine de protagonistes de ce tableau, Edelfelt a peint les visages de ses proches, qu’il retrouve chaque été dans la bourgade de son enfance. Dans la vieille dame du premier plan, on reconnaît ainsi la fidèle Tajta, la servante qui prit soin de lui quand il était petit garçon. La petite fille fait également partie de son entourage. Quant au jeune homme appuyé contre l’arbre, il a le visage de son frère. Près de lui, voici Robert, le fils du pêcheur et propriétaire Lindström. Et ce dernier n’est autre que l’homme aux mains posées sur les genoux.
Dans ses scènes de plein air, Edelfelt attache une importance particulière à la lumière. Le Convoi d’un enfant, grand tableau aux tons clairs baigné dans une lumière septentrionale, peint en 1879, deux ans avant le Service divin, en témoigne. Edelfelt a trouvé sa voie et sa lumière. « Une lumière froide, métallique, des pays du Nord, presque photographique, caractéristique du nord », décrit Anne-Charlotte Cathelineau. Des esquisses à l’huile pour le Service divin montrent ainsi la façon dont le peintre a étudié la nature et les couleurs changeantes de la mer et du ciel. La résidence familiale d’Edelfelt était par ailleurs proche de la plage, avec de grandes fenêtres et une véranda donnant sur le golfe de Finlande, lui permettant d’observer le paysage depuis son salon ou la véranda. Il s’y fera ensuite construire un atelier d’été.
Lorsqu’Edelfelt délaisse à partir de 1875 la peinture historiciste pour représenter des sujets réalistes, sa palette s’éclaircit. Les teintes sombres cèdent la place aux roses et aux bleus pâles. « Le peintre sera aussi très marqué par son voyage en Espagne, et sa découverte des peintures du Prado, notamment celles de Diego Velázquez », souligne Anne-Charlotte Cathelineau. Si son intérêt pour la lumière et la couleur le rapproche des impressionnistes, Albert Edelfelt s’est pourtant montré critique à leur égard. En 1887, il peint Au jardin du Luxembourg : la lumière claire et l’atmosphère de tendresse heureuse qui émanent de cette scène de plein air laissent transparaître une sensibilité impressionniste. Pourtant, quand l’œuvre est présentée à la Galerie Georges Petit avec les toiles de Claude Monet et de ses amis, Edelfelt prend amèrement conscience du fossé qui les sépare et écrit à sa mère : « Il y a là trop d’impressionnistes, et leurs ciels clairs bleu de Prusse et outremer, leurs paysages jaunes et vert pomme et leurs ombres violettes tuent toutes les peintures honorables et décentes accrochées à leur côté. »
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Service divin au bord de la mer d’Edelfelt
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°753 du 1 avril 2022, avec le titre suivant : Service divin au bord de la mer d’Edelfelt