Giuseppe Penone - Grandeur nature

Par Philippe Piguet · L'ŒIL

Le 10 décembre 2010 - 1596 mots

Invité du musée des Arts contemporains du Grand-Hornu, en Belgique, Giuseppe Penone y présente un ensemble d’œuvres anciennes et récentes en un parcours poétique qui poursuit son travail de célébration de la nature.

A Paris, au carrefour des rues Clovis et Descartes, dans le Ve arrondissement, le passant peut apercevoir à travers les grilles qui bordent l’ancienne École polytechnique une œuvre de Giuseppe Penone qui appartient à la série de ses Gestes végétaux. Installée là depuis plus de vingt-cinq ans, elle offre à voir l’union parfaitement réussie de deux ordres, le naturel et l’artefact – celle d’un groupe d’arbustes et d’un ensemble stylisé de figures anthropomorphes en bronze –, telle que l’artiste n’a de cesse depuis ses débuts de l’orchestrer. Tout à la fois sujet, modèle et symbole, l’arbre est au cœur des préoccupations esthétiques de Penone. Il est la figure par excellence d’une relation existentielle à la nature et à l’homme.
Ce binôme fonde la réflexion et la démarche de l’artiste dans une approche philosophique qui, comme le note justement Laurent Busine, « s’intéresse moins aux choses en elles-mêmes qu’aux choses entre elles ». Directeur du Grand-Hornu depuis 2002, ce dernier y a invité Giuseppe Penone cet hiver. Ensemble, ils ont imaginé une exposition en référence à l’anatomie des arbres écorchés par l’artiste comme à la géologie des anciennes mines de charbon de cet ensemble architectural situé en Belgique dans le bassin houiller de Mons et consacré à la création contemporaine. 

La mémoire et le monde 
Intitulée poétiquement « Des veines, au ciel, ouvertes », cette deuxième exposition personnelle de Penone en Belgique vient vingt-quatre ans après celle qui avait déjà été organisée par Laurent Busine au Palais des beaux-arts de Charleroi. C’est dire la complicité entre les deux hommes qui ont notamment choisi de placer au centre de cette nouvelle exposition l’œuvre magistrale intitulée Matrice di linfa (« Matrice de sève »), datée 2008. Présentée pour la première fois à l’École nationale supérieure des beaux-arts de Paris, cette œuvre de plus de 43 mètres de long est constituée de l’aboutement des deux moitiés d’un magnifique sapin, coupé en plusieurs morceaux et chacun de tout leur long, creusés en leur centre, leurs branches taillées et dénudées figurant comme les membres d’un mille-pattes. Placé sur de discrets pieds métalliques, l’ensemble repose au-dessus du sol – ce dernier tout entier recouvert de peaux en cuir – comme s’il était en très légère lévitation. Le visiteur invité à déambuler le long de cet arbre plonge alors son regard en son creux que Penone a excavé et fouillé de ses outils comme pour remonter à l’endroit d’une origine. Ici, il y a fait couler une résine couleur sang ; là, il a plaqué en son fond une gangue de terre cuite ; là encore, il l’a laissé à nu évidant l’embout d’une branche pour y creuser l’ébauche d’un tunnel. Matrice di linfa est à découvrir comme on le fait d’un paysage, en se laissant guider par les aléas de son relief, en dévalant une pente, en empruntant un raccourci, en s’enfonçant dans un taillis, bref, en le vivant du dedans pour être pleinement du paysage.
« L’arbre ouvert résonne comme un livre d’histoires, écrit Laurent Busine. Les regards plongent dans son ventre et découvrent son âme ; il contient la mémoire d’une vie unique, devenue par le travail du sculpteur exemplaire de toutes celles – végétales, animales et minérales – qui composent le visage du monde à chaque instant du monde. » La mémoire et le monde, ce sont là, de fait, les vecteurs essentiels qui déterminent l’art de Giuseppe Penone dans cette façon qui lui est si personnelle de donner forme à sa relation sensible à la nature. Les pièces réunies au Grand-Hornu en sont autant d’échos, et ce quelle que soit la matérialité du travail mis en jeu. 

Soi et le monde 
La série de photographies que l’artiste réalise en 1970 sur le mode de l’autoportrait, intitulée Rovesciare i propri occhi – progetto (« Renverser ses yeux – projet »), en est une éminente illustration. Les lentilles-miroirs que Penone a placées sur ses yeux renvoient son regard à l’image de tout ce qui s’y reflète, donc du monde extérieur, dans un principe d’involution qu’excède la multiplication de son image.
La série de sculptures dite Geometria nelle mani (« Géométrie dans les mains »), datée 2005, procède de cette même façon de rassemblement concentré du monde. Elle prend tout d’abord appui sur deux autres ensembles : l’un de 1970, un lot de petites sculptures en plâtre, les Cocci (« Tessons »), à l’empreinte du creux créé par le rassemblement des mains de Penone ; l’autre de 2004, quatorze photographies qui présentent l’image négative de ses mains tenant en leur creux une petite pièce à la découpe nettement géométrique. Par suite, l’artiste a, d’une part, fait mouler et agrandir en bronze les formes d’empreintes des tessons ; de l’autre, il a fait fabriquer et agrandir en acier inox les formes géométriques des photos, à l’intérieur de chacune desquelles a été reproduit le creux de ses mains. Enfin, Penone a réuni ces deux parties en les soudant, de sorte que chacune des sculptures ainsi constituées est faite à la fois du vide et du plein de ses mains et que l’écran réfléchissant de l’inox opère en miroir absorbant de tout l’environnement extérieur.
L’une des propositions les plus singulières de l’exposition dans ce rapport de l’homme à la nature est assurément cette série de plaques d’ardoise recouvertes de graphite, exécutée par Penone en 1989-1990 et qui montre un simple jeu de lignes totalement abstrait, inattendu chez lui. Cet ensemble fait écho à l’inédit d’une expérience que l’artiste fit à cette époque et qui le conduisit à pénétrer dans le ventre de la terre. Invité à exposer dans le nord de l’Angleterre, il répondit à l’offre qui lui fut faite de visiter une mine désaffectée, et Penone de se retrouver à circuler dans d’étroits diverticules en rampant par 400 mètres de profondeur dans les entrailles de notre mère nourricière. La surface moirée de la partie dessinée révèle au regard une composition qui vient jouer en matière et en image mémorables de l’espace intérieur de la mine. Il en est ainsi souvent chez Penone d’une dimension métaphorique pour ce que la métaphore est la figure de style la plus appropriée à traduire une pensée, sinon un ressenti. 

Sculpter la vie 
À l’instar de ses aînés qui ont pour nom Rodin ou Brancusi, Giuseppe Penone transforme l’idée de sculpture. Ses œuvres, qui en appellent à toutes les procédures – qu’elles soient traditionnelles ou innovantes – et à tous les matériaux – du bois au bronze et de la mine de plomb à l’or –, sont fortes d’une dimension poétique chère à Virgile. Comme l’auteur des Géorgiques a ouvert les voies de l’avenir et révélé ce qui est, Penone s’efforce de mettre à nu les secrets de la vie, de cette subtile substance qu’anime un souffle essentiel. Tout ce qui touche à l’idée de respiration, de flux, de croissance, de métamorphose trouve forme dans son œuvre dont la perfection technique unie à l’étendue de sa sensibilité et à la profondeur de ses intuitions en fait un artiste majeur. Originaire d’un petit village du Piémont, né en 1947, élevé à l’écoute de la nature, si Penone partagea l’aventure de l’Arte Povera, il s’en distingua toujours par le soin de ne pas chercher à créer un style, mais à affirmer une présence. Un « être-là » qui proclame cette relation primordiale à la nature.
Pelle di foglie (« Peau de feuilles ») est un groupe de sculptures en bronze, initié en 1999, qui se présente sous les traits simplifiés d’une figure humaine faite de branches d’arbre entrelacées. Tout ce qui nous constitue y est suggéré dans une gracilité de traits extrême : os, ligaments, veines, etc. Celle de 2007, exposée au Grand-Hornu, dont le titre est complété par Sguardo a terra (« Regard à terre »), est nantie de deux grandes traverses qui se croisent au-dessus de la tête et passent par la face arrière du crâne pour aller toucher terre. « La propagation d’une branche dans l’espace à la recherche de la lumière a la même structure qu’un regard », note l’artiste.
Outre Les Pierres des arbres [lire encadré], il est une autre œuvre que Giuseppe Penone a installée à l’extérieur et qui répond au nom de Biforcazione (« Bifurcation »), datée 1991. C’est un arbre en bronze de dix mètres de long qui repose au sol sur sa base et sur deux de ses branches. En son début se trouve une bifurcation tronquée dans la matière de laquelle l’artiste a moulé la forme d’un bras et d’une main aux doigts écartés d’où s’échappe un mince filet d’eau. Giuseppe Penone a placé cette « fontaine » juste au-dessus d’un petit puits désaffecté, creusé dans le sol de l’ancienne mine. Une façon, encore une fois, de filer la métaphore dans cette intention de redonner vie au site à la source même de sa propre mémoire.

Biographie

1947 Né à Garessio dans le Piémont italien.

1968 Il est le dernier arrivé au sein du mouvement de l’Arte Povera qui revendique un retour à l’essentiel.

1970 Dans la photo Autoportrait, renverser ses yeux, il s’aveugle avec des verres de contact miroitants.

1972 Première Documenta de Kassel.

1999 Peaux de feuilles sont des sculptures faites de branches entrelacées évoquant des corps humains.

2004 Rétrospective au Centre Pompidou.

2008 Pour Matrice de sève, Penone coupe un sapin de 23 mètres dans le sens de la longueur et l’expose à l’horizontal, évidé.

Autour de l’exposition

Informations pratiques. « Des veines, au ciel, ouvertes », jusqu’au 13 février 2011. MAC’s, site du Grand Hornu. Tous les jours de 10 h à 18 h. Fermé le lundi, les 25 décembre et 1er janvier. Tarifs : 4 et 6 euros. www.mac-s.be

Le dessin comme trace. Spécialisé dans le dessin sous ses formes contemporaines, le Frac Picardie présente une œuvre de Penone dans l’exposition « 25 ans de dessin. Noir ou blanc. » Série de dix mètres de long alignant quinze cadres verticaux, le travail de Penone résulte d’une technique particulière. L’artiste a enregistré l’empreinte de l’écorce d’un arbre en y déposant un papier qu’il a frotté au graphite. Visible mais presque blanche, l’image de l’écorce oscille entre révélation et effacement. Le dessin est une trace, il établit un rapport intime entre l’artiste et le support. www.frac-picardie.org

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°631 du 1 janvier 2011, avec le titre suivant : Giuseppe Penone - Grandeur nature

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