« Je ne crée pas pour réaliser de belles peintures ou de belles sculptures. L’art n’est qu’un moyen de voir.
Quoi que je regarde, tout me dépasse et m’étonne, et je ne sais pas exactement ce que je vois. C’est trop complexe. Alors il faut essayer de copier simplement, pour se rendre un peu compte de ce qu’on voit. C’est comme si la réalité était continuellement derrière les rideaux qu’on arrache. » Ces quelques mots prononcés par Giacometti (1901-1966) en 1962 résument parfaitement la quête obstinée de cet artiste, aujourd’hui mythique, dont l’œuvre apparaît trop souvent, dans l’imaginaire collectif, réduite à quelques silhouettes longilignes et fragiles. Cette exposition invite à prendre la mesure du destin exceptionnel d’un homme qui tenta toute sa vie de capter, en deça des apparences, la « réalité » possible de ce qu’il fixe avec son regard obstiné, et de matérialiser ces présences. Mais, dans le parcours clair et aéré de l’exposition, nous regrettons vraiment l’absence des premières sculptures du jeune Giacometti. Leur présence aurait permis d’appréhender plus finement les évolutions d’une œuvre aussi complexe. Il existe entre la Tête de Bruno enfant (vers 1917) ou la Tête d’enfant (Simon Bérard) (1917-1918) et, par exemple, plusieurs Bustes d’Annette des années 1964-1965, des relations fertiles en interrogations pertinentes, par exemple autour de ce mystère du regard qui, pour Giacometti, s’épaissit chaque jour un peu plus. Ces absences sont d’autant plus étonnantes que ces deux sculptures appartiennent à la Fondation Giacometti, partenaire essentiel de l’exposition.
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°723 du 1 mai 2019, avec le titre suivant : Giacometti, la puissance d’une quête sans fin