Art ancien - Cinéma

XIXE SIÈCLE

Genèse du septième art

Par Élisabeth Santacreu · Le Journal des Arts

Le 9 novembre 2021 - 872 mots

PARIS

Avant l’invention du cinéma, de nouvelles attractions de foire ont habitué le public à voir les images s’animer. Parallèlement, les arts plastiques cherchaient à rendre la vitesse et inventaient de nouveaux cadrages, comme le montre le Musée d’Orsay cet automne.

Paris. « Au XIXe siècle, des femmes et des hommes poursuivent ce que l’on pourrait appeler un rêve de cinéma », explique le panneau d’introduction à l’exposition « Enfin le cinéma !… » au Musée d’Orsay. Celle-ci ne présentera donc pas – ou pas seulement – le cinéma à ses débuts, mais essentiellement la façon dont le siècle appelait la naissance du septième art. Car celui-ci ne fut pas seulement le fruit d’une découverte arrivée après maints tâtonnements, mais surtout la suite logique de la modification du regard dans une société entière qui vivait une révolution dans son mode de vie, incluant désormais la vitesse et l’instantanéité. À la société de masse qui était en train de se constituer, il fallait un média de masse et ce fut le cinéma.

Les commissaires, Dominique Païni, Paul Perrin et Marie Robert, ont réuni près de quatre cents œuvres, films et objets destinés à montrer cette relation profonde à la vie quotidienne qu’a eue le cinéma dès son début. Ainsi, l’histoire de Pygmalion et Galatée est évoquée parce que Georges Méliès en a tiré un film en 1896. Mais le cinéaste n’a fait que reprendre un thème rebattu non seulement dans les beaux-arts – la sculpture de Rodin est là pour le prouver –, mais encore dans les spectacles de lanterne magique, les vaudevilles et les scènes burlesques. On s’amusait de portraits photographiques où les yeux apparaissaient ouverts ou fermés selon la position du spectateur. Mieux : en 1823, le peintre Louis Daguerre ouvrait avec Charles-Marie Bouton le premier diorama, un panorama amélioré. En 1834, ils ont l’idée d’en faire des versions jour/nuit en rétroéclairant la toile pour faire apparaître de nouveaux détails. Une rarissime version miniature du dispositif, Le Campo Santo de Pise (entre 1834 et 1839), est présentée.

Vers une nouvelle grammaire visuelle

Au cours du XIXe siècle, le public fait l’apprentissage de l’instantanéité. On parle volontiers, aujourd’hui, de « cadrage photographique » lorsqu’on décrit une toile comme Le Pont de l’Europe de Gustave Caillebotte (1876-1877). La position des trois personnages, tassés à gauche de la composition – l’un est même en train de sortir du cadre –, fait irrésistiblement penser à un instantané photographique. Or la photo instantanée ne se développe que dans les années 1880-1890... L’esthétique du vide que l’on perçoit dans cette œuvre doit beaucoup à l’estampe japonaise, de même que le split-screen (écran divisé) qui apparaît très tôt au cinéma s’inscrit sans doute moins dans la suite des polyptiques de l’art occidental que de certaines estampes japonaises aux images divisées qui ont influencé, là encore, la peinture du XIXe siècle. Avec Un refuge (1880) et Place du théâtre français (1898), Caillebotte et Camille Pissarro donnent l’exemple de vues en plongée telles que les affectionnera le cinéma.

Mouvement, vitesse : La Valse de Félix Vallotton (1893) fait écho aux photographies de Mademoiselle Loïe Fuller (1897) et aux films des frères Lumière, de Méliès ou de Pathé dans lesquels elle apparaît. C’est un travelling avant la lettre qu’a réalisé Charles Paul Renouard avec La Cité vue de mon cab, Londres (1886). La première manifestation de la vitesse au cinéma est celle du film Arrivée d’un train à La Ciotat de Louis Lumière (1897) dont les projections terrifiaient les spectateurs qui voyaient le train foncer sur eux. Le mouvement est plus mesuré dans le film Caravane de chameaux d’Alexandre Promio (1897), projeté sur écran surplombant Pèlerins allant à La Mecque de Léon Belly (1861, voir ill.). Cette toile de grande taille, absolument cinématographique, fascine habituellement le public dans les salles du Musée d’Orsay. Elle montre une caravane de chameliers, de cavaliers et de piétons avançant majestueusement dans le désert. Alors qu’au cinéma l’opérateur a filmé son sujet en diagonale, Belly s’est mis face au sien, anticipant les plans qui feront fureur dans les films hollywoodiens.

L’histoire et la religion, des sujets incontournables

L’un des genres les plus féconds à la fois dans la peinture et au cinéma est l’histoire. « Dès 1896, précise un panneau de salle, le cinématographe [propose] de courts films historiques ou religieux. Ceux-ci font appel à la culture visuelle et à l’imaginaire collectif de la période, dominés par les reproductions des œuvres de peintres académiques. » Un exemplaire du livre La Vie de notre seigneur Jésus-Christ (1896), illustré par James Tissot, rappelle à quel point le peintre a inspiré les cinéastes (dont Steven Spielberg pour Indiana Jones ou Les Aventuriers de l’arche perdue). Alice Guy, pionnière du cinéma, s’en est elle aussi souvenue pour sa Vie du Christ (1906). Célèbre à l’époque parce qu’elle raconte un épisode héroïque de la guerre de 1870, la toile d’Alphonse de Neuville, Les Dernières Cartouches (1873), a été vulgarisée par la gravure, les plaques de lanterne magique, un roman et une pièce de théâtre de Jules Mary. Cinq films tournés entre 1897 et 1902 ont également repris le sujet.

Au-delà des passionnants rapprochements des arts avec le cinéma naissant, l’exposition est une formidable machine à remonter le temps, un voyage dans un XIXe siècle chahuté par la modernité et intensément vivant.

Enfin le cinéma ! Arts, images et spectacles en France (1833-1907),
jusqu’au 16 janvier 2022, Musée d’Orsay, Esplanade Valéry Giscard d’Estaing, 75007 Paris.
de Stefan Cornic, une coproduction Arte France, Beall Productions et Musée d’Orsay, 52 min, visible sur Arte jusqu’au 20 février 2022.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°576 du 29 octobre 2021, avec le titre suivant : Genèse du septième art

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