Après avoir dirigé la Cinémathèque française dans les années 1990, Dominique Païni a initié des expositions de cinéastes au Centre Pompidou. Portrait d’un faux dilettante, à cheval entre le cinéma et les arts plastiques.
Gourmandise de mots version Fabrice Luchini et longue mèche à la Jean-Pierre Léaud : Dominique Païni ressemble à un personnage de fiction. Sa coquetterie d’« hétérofolle », pour reprendre son néologisme, et sa fascination de midinette – ou d’autodidacte – pour les stars de cinéma et le bottin mondain font sourire. Tout autant que ses leitmotivs empruntés à Bataille – « faire crier les ressemblances » – ou à Eisenstein : « cabrer les différences ». Malgré son côté falbalas, l’actuel directeur de la Fondation Maeght, à Saint-Paul de Vence (Var), est un disciple de Jean-Luc Godard et de Jean Eustache. Doué d’une vision synoptique de l’histoire du septième art, il a expérimenté toute la chaîne du cinéma. Sans sautiller d’un poste à un autre, il a déployé une énergie fructueuse aussi bien à la Cinémathèque française qu’au Département de développement culturel (DDC) du Centre Pompidou. On lui reproche toutefois d’être un homme de pouvoir, obséquieux face aux puissants. « Il ne cherche pas le pouvoir, mais le symbolique, la stature, objecte Jean-Michel Frodon, directeur des Cahiers du Cinéma. Ce qui compte pour lui, c’est d’avoir été dans la lignée des gens qu’il admire. »
Bon équilibriste
« Effrontément chanceux. » Ainsi se qualifie cet homme, né d’un ajusteur chez Dassault et d’une responsable de cantine. Dominique Païni ne s’en est pas moins vite frotté à la culture, lisant pêle-mêle Georges Sadoul, Pierre Daix ou Léon Moussignac. De 1968 à 1973, il
adhère au Parti communiste où il rencontre Étienne Balibar et Louis Althusser. Abandonnant ses études à l’âge de 16 ans et demi, il a juste le temps de découvrir la Cinémathèque de Chaillot lors d’un voyage de groupe. « J’ai compris en cinq secondes que c’est un endroit pour voir non des films, mais les relations entre les films », explique-t-il. Vers 1979, il anime le cinéma Studio 43 à Paris. Face au cinéma Les Actions, focalisé sur les films américains, Dominique Païni opte pour le cinéma d’auteur français. « Je voulais en découdre avec la Nouvelle Vague comme principe de rupture, explique-t-il. Les moments de l’Histoire s’enchaînent par rapport non à ce qui précède immédiatement, mais à ce qui précède avant. » On renvoie au grand-père et non au père, disait Godard…
De 1984 à 1987, il codirige la société Forum Distributions avec Claude-Éric Poiroux, actuel directeur général d’Europa Cinémas. Cette société florissante distribuera les premiers films de Jim Jarmusch et de Leos Carax. Le duo se sépare avec la Nuit porte-jarretelles (1984) de Virginie Thévenet. Dominique Païni rachète alors le cinéma Racine et produit des films de Garrel, Straub et Huillet ainsi que de Juliet Berto, autant d’expérimentations qui le mettent sur la paille. En 1988, il rejoint le Musée du Louvre comme directeur des productions audiovisuelles. Il y produit notamment les vingt premiers numéros de « Palettes », la série documentaire d’Alain Jaubert. Dominique Païni reste toutefois réticent face à la tentation de la fiction qui démange les musées français. « Les films produits par les institutions muséales doivent avoir une vertu d’usage », précise-t-il.
En 1991, il prend les rênes de la Cinémathèque française, où il se love comme un poisson dans l’eau. Sans perdre de vue l’esprit de son fondateur, Henri Langlois, il y mène une réforme qui fera parfois grincer les dents des traditionalistes. « Il s’est montré habile, bon équilibriste pour maintenir une exigence d’indépendance de la Cinémathèque et, en même temps, nouer des conventions avec l’État », remarque Claude-Éric Poiroux. Son culot se confirme dans le choix des thématiques. Il confie ainsi à Jean-François Rauger une programmation bis, dédiée aux films de niches. « Dominique va chercher des choses qui ne viennent pas de courants dominants, indique Philippe-Alain Michaud, conservateur à Beaubourg. Il est capable de s’enthousiasmer pour un mélo des années 1920, des objets improbables qui résistent à toute utilisation mondaine. » Bien que Dominique Païni ait rêvé de prendre sa retraite à la Cinémathèque, son projet de « Maison du cinéma » installée au Palais de Tokyo fera les frais de l’impéritie politique. Mais l’homme sait rebondir. Il prend en 2001 les manettes du DDC au Centre Pompidou. Il succède ainsi à Daniel Soutif, dont les rapports avec le Musée national d’art moderne (MNAM) furent conflictuels. « Dominique s’était fixé comme but d’avoir des bonnes relations avec le musée, souligne un observateur. Tout en voyant ses défauts, il admirait Alfred Pacquement, sans doute pour le côté grand bourgeois. » Dominique Païni jouit du soutien des programmateurs, qui apprécient son approche non protocolaire, d’aucuns diraient : bordélique. « Il nous laissait une grande liberté dans nos activités extérieures, indique Marianne Alphant, responsable des Revues parlées. Il pensait que le fait que nous fassions des choses en dehors donnerait plus de poids à notre travail au Centre Pompidou. L’immatérialité de nos actions à l’extérieur compensait la matérialité de la collection du musée. » Cette liberté, il en a lui-même profité, en lançant le Musée Lumière à Lyon en 2003. Sa diplomatie lui permet de mener à bien les expositions qu’il a dans sa besace. Car l’idée d’exposer le cinéma, aujourd’hui à la mode jusqu’à l’excès, est depuis longtemps sa marotte. « Le cinéma a une puissance épistémologique sur les autres arts, assure-t-il. Tout le monde est aujourd’hui attiré par le cinéma, car il offre une conjugaison de formes en mouvement. Le cinéma permet cette extraordinaire expérience du retour non culpabilisant de la figuration au musée. » À l’entendre, on regretterait presque qu’il n’ait pas été associé au « Mouvement des images » (1), qu’il avait proposée à son arrivée au Centre Pompidou. Sans doute aurait-il essuyé une grève générale des conservateurs de Beaubourg ! En présentant « Cocteau » en 2003, il se voit taxé de révisionnisme. « Dominique n’est pas dans le droit-fil de ce qu’il est convenu de considérer comme les grands artistes. Il revendique des écarts, même de grands écarts », lance Isabelle Monod-Fontaine, directrice adjointe du MNAM et co-commissaire de cette exposition. Après le succès de « Hitchcock et l’art » en 2001, il s’attelle au chantier d’une expo Godard. Mais patatras, le cinéaste l’exclut du projet de manière humiliante. « Godard est un terroriste. Au fond, il aime se faire exploser là où il y a le plus de monde, analyse Dominique Païni. Godard hait l’institution, il ne peut s’imaginer qu’on lui veuille du bien. »
Chantre du pluridisciplinaire, Dominique Païni évolue entre le milieu de la cinéphilie et celui des arts plastiques en collaborant à Art press. Il voue à la revue une fidélité telle qu’il en devient le Monsieur Loyal de service pour en célébrer les anniversaires ! S’il aime théoriser, Dominique Païni ne renie pas l’affect. « C’est un esthète qui fait de la théorie. Il aime les œuvres affectueusement, ce ne sont pas seulement des outils pour penser », insiste Jean-Michel Frodon. Fidèle, il pratique une « politique d’auteur » héritée de la cinéphilie, au point de mettre certains créateurs, notamment Alain Fleischer, à toutes les sauces.
Nomination surprise
Dans un parcours jusque-là cohérent, son départ pour la Fondation Maeght et son éloignement du cinéma ont créé la surprise. « Je sentais que je n’avais plus ma place dans le trentième anniversaire de Beaubourg. J’étais fatigué », confesse-t-il. Sans doute était-il aussi attiré par l’idée de s’occuper enfin d’une collection. Mais récupérer un poste occupé pendant trente-quatre ans par Jean-Louis Prat n’a rien d’une sinécure ! « Cela se passe mieux que je ne le pensais, confie Yoyo Maeght. Je m’entends bien avec lui, nous avons des rapports très francs ; on se dit tout, y compris ce qui ne va pas. » L’entente est pourtant loin d’être cordiale, comme en témoignent les crispations de part et d’autre lors du vernissage de l’exposition d’intronisation. « Le noir est une couleur », présentée cet été à Saint-Paul de Vence, se veut un manifeste des goûts et des amitiés de Dominique Païni en matière d’abstraction. On peut aussi l’interpréter comme un serment d’allégeance à la famille. Regrettable concession, le directeur a intégré à la présentation deux artistes liés aux Maeght, Marco Del Re et Aki Kuroda, que Jean-Louis Prat tenait en lisière dans ses expositions. « On ne m’a rien demandé, mais je trouve cela légitime », réplique-t-il. Ce geste ne consolide pas pour autant une fonction qu’on imagine fragile, voire transitoire. Certains murmurent que la descente dans le sud de la France le rapproche aussi du Festival de Cannes. Pourrait-il un jour en être le directeur ? « Impossible, tranche Claude-Éric Poiroux. Dominique a un socle de croyances et Cannes, ce n’est pas ce monde-là. Dominique n’abdiquera pas Straub. » Sans l’abdiquer, il semble l’avoir mis entre parenthèses à Saint-Paul.
(1) l’exposition actuelle des œuvres de la collections du Musée national d’art moderne.
1947 Naissance à Clichy (Hauts-de-Seine).
1979 Dirige la salle de cinéma Studio 43 à Paris.
1988 Directeur des productions audiovisuelles du Musée du Louvre.
1991 Directeur de la Cinémathèque française.
2001 Directeur du Département du développement culturel au Centre Pompidou.
2006 Directeur de la Fondation Maeght, à Saint-Paul de Vence. Exposition « Le noir est une couleur », jusqu’au 5 novembre.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Dominique Païni
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°241 du 7 juillet 2006, avec le titre suivant : Dominique Païni