Moins d’un mois après l’ouverture de l’exposition \"Gauguin. Les XX et La Libre Esthétique\", ses responsables annonçaient 30 000 visiteurs. L’événement répond parfaitement aux objectifs fixés : faire de l’argent.
LIÈGE - Le lieu reste toujours aussi difficile à animer. Des murs en béton brut peint, un plafond bas, des salles sans lumière naturelle, un parcours labyrinthique rendent la salle Saint-Georges peu apte à accueillir ce qu’on tente vainement d’appeler une "grande exposition". Les moyens mis en œuvre paraissent parfois dérisoires. Aux traditionnelles barrières qui empêchent le spectateur de s’avancer trop près des œuvres, on a préféré ici des grillages employés dans le bâtiment pour couler le béton. Force est de reconnaître que celui-ci domine.
L’économie semble d’autant plus singulière que les organisateurs n’ont pas lésiné sur la publicité. Des boutiques ardennaises aux poubelles du littoral, la Belgique est couverte d’affiches aux couleurs de Gauguin. L’essentiel des moyens a été investi dans la promotion plus que dans l’exposition, où le visiteur déplorera une nouvelle fois l’absence de tout panneau didactique. Faut-il voir là un simple oubli ou un acte réfléchi favorisant la vente du catalogue ?
Entrons dans l’exposition. Sans vouloir bouder le plaisir qu’il y a à revoir des œuvres de Gauguin, celles présentées n’apportent rien. Deux œuvres seulement avaient fait le voyage aux "XX" et à "La Libre Esthétique". La présentation vise davantage à se constituer en rétrospective. Celle-ci se révèle immanquablement lacunaire. Si l’ensemble reste agréable à regarder, on sent manifestement que le choix des pièces a été dicté par leur accessibilité.
L’absence des pièces maîtresses donne la possibilité à des œuvres secondaires de se révéler. Ainsi en est-il de La fête Gloaneec du Musée d’Orléans, ou des Arbres bleus venus de Copenhague. On s’étonnera de voir, parmi les prêteurs, des institutions souvent pointilleuses en matière de prêt, comme les Musées royaux des beaux-arts de Belgique ou le Musée d’Orsay. Sans doute s’agit-il de politesse entre musées garantissant la réciprocité.
La faiblesse de l’exposition vient du second volet. La partie consacrée aux "XX" et à "La Libre Esthétique" n’est introduite par aucun commentaire. Le spectateur passe des gravures de Gauguin à Signac, Khnopff et Ensor sans la moindre justification. En un long couloir en angle droit, la quarantaine d’œuvres consacrées aux cercles bruxellois animés par l’avocat et critique Octave Maus se succèdent sans le moindre mot d’explication et sans la plus apparente cohérence.
La relation à Gauguin n’apparaît explicite que pour ses disciples Émile Bernard ou Charles Filigier. Au sortir de l’exposition, on cherche en vain ce qu’elle voulait démontrer et on s’interroge sur la nécessité de déplacer des œuvres par nature fragiles pour de tels rassemblements. Le marketing culturel ne justifie pas tout.
Une présentation criarde
À côté de l’exposition, le catalogue se révèle d’une présentation criarde. La qualité d’impression n’y est pas. On s’en rendra compte en le feuilletant au sein même de l’exposition. Les couleurs, poussées, trahissent souvent les œuvres. Publié sous la direction de Françoise Dumont, commissaire de la manifestation, l’ouvrage témoigne néanmoins du travail scientifique accompli. Le conservateur du Musée d’art moderne et contemporain de Liège évoque la présence de Gauguin sur la scène artistique bruxelloise en une chronologie détaillée et documentée. Une équipe de l’université de Liège approfondit les notions de modernité et de sauvagerie.
On regrettera que la question des résonances de l’œuvre de Gauguin en Belgique ne soit absolument pas abordée, alors que cela devait constituer le centre de l’exposition. Le texte intitulé 1889, ce fut aussi l’année des XX, ne répond pas à son titre et n’offre aucune précision. Gauguin côtoie les "XX" sans les rencontrer.
L’occasion est manquée et le catalogue ne répond pas aux interrogations : Gauguin a-t-il eu un impact en Belgique alors que les "XX" s’enthousiasment pour le Néo-impressionnisme ? Par la suite, ses recherches en matière d’art décoratif ont-elles eu des résonances dans l’évolution de "La Libre Esthétique" ? Inaugurant l’exposition, Hector Magotte, l’échevin de la culture de la Ville de Liège, exprimait sa fierté à accueillir Gauguin à Liège "pour le plus grand bien de la ville". On peut craindre que seule la ville y ait trouvé son compte.
"Gauguin. les XX et La Libre Esthétique", Liège, salle Saint-Georges, jusqu’au 15 janvier.
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Gauguin, une rencontre à nouveau manquée
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°9 du 1 décembre 1994, avec le titre suivant : Gauguin, une rencontre à nouveau manquée