Intitulée “Speaking in tongues”?, l’exposition de Steve McQueen au Musée d’art moderne de la Ville de Paris regroupe quatre œuvres de l’artiste anglais dans une scénographie plongée dans la pénombre. On y découvre Once Upon a Time, une installation spécialement créée pour l’occasion et qui prend pour thème la sonde Voyager II, et Illuminer (2001), un autoportrait à la lueur d’une télévision. Construit sur des principes proches de l’improvisation musicale, son œuvre s’appuie sur l’enregistrement du réel pour mieux le fracturer.
PARIS - “La glossolalie, cette façon de parler de manière naturelle un langage inintelligible, est pour moi proche de l’improvisation, du jazz”, explique Steve McQueen au sujet des voix de Once Upon a Time, la vaste installation qu’il a déployée au centre des espaces d’exposition de l’Arc, au premier étage du Musée d’art moderne de la Ville de Paris. Là, d’un bout à l’autre d’un couloir plongé dans une pénombre froide, des hauts-parleurs diffusent des enregistrements de transes phonétiques. Des femmes et des hommes s’y expriment d’une façon inintelligible ; ils “parlent en langues”, “speaking in tongues”, comme le dit le titre de l’exposition. Simultanément à ces manifestations de l’inconscient (ou de l’Au-delà, selon les chapelles), un diaporama égrène en fondu enchaîné les images placées en 1977 dans la sonde Voyager II avant son lancement dans l’espace. Tel un message dans une bouteille, les documents continuent de progresser dans le vide interstellaire dans l’attente de croiser le chemin d’une intelligence extra-terrestre. Ces vues heureuses d’un monde universel, sans conflits, dessinent à des milliers de kilomètres une vision idéalisée de notre planète. Soutenues par le flot de voix aux sonorités primitives, les images jouent la partition d’un conte cosmique dont les envolées ne sont pas loin des mythologies spatiales et sonores du free-jazz promues par Sun Râ.
Rythme sourd
C’est justement dans les intervalles d’un rythme sourd, bâti sur une scénographie interrompue par de larges plages de vide, que Steve McQueen a placé ses films. Isolés mais liés, tous collent au réel pour en tirer à chaque fois un peu plus. Cette façon de procéder semble désormais commune chez l’artiste, dont les premiers films datent du début des années 1990. Constitué de Caribs Leap et de Western Deep, le diptyque qu’il avait présenté l’an passé à la Documenta 11 de Cassel apparaissait ainsi comme une jonction au sommet entre documentaire et cinéma expérimental. Quant à la tenue de son exposition dans des salles qui accueillaient quelques semaines plus tôt le cirque baroque de Matthew Barney, elle pointe un peu plus les écarts dans l’ensemble des productions que l’on regroupe trop communément sous le terme de “vidéo”. En quasi-opposition au système fictionnel et obstinément clos de l’Américain, le travail de McQueen est une œuvre construite sur des fragments de réalité, et il est ouvert. À ce sujet, l’artiste insiste sur la non-littéralité de ses installations, se plaît à rapprocher l’image vidéo de la peinture pour en souligner l’étendue des problématiques. Chacun en fera l’expérience. Avec 7th November (2002), la photographie projetée du corps allongé de Marcus (le cousin de l’artiste) est accompagnée du récit ininterrompu de l’accident qui a provoqué la mort de son frère, et la tragédie se diffuse à l’échelle d’une pièce. Face au corps électrique du chanteur Tricky, capturé lors d’une séance d’enregistrement (Girls Tricky, 2001), la tension est prégnante. Poussée par le son, l’image transpire et donne des coups. Mais, parmi les quatre pièces présentées par Steve McQueen à Paris, c’est Illuminer qui laisse le plus de place (et de trace) au spectateur : d’abord par son dispositif d’auto-filmage qui souligne le système de la perspective classique, ensuite par le sentiment de promiscuité qu’il provoque immédiatement. Nu sur son lit, l’artiste s’expose au rayonnement d’une télévision dont le son indique qu’elle diffuse un reportage sur les forces spéciales américaines. Le ton est martial et contraste avec la passivité d’un corps dont la visibilité est indexée sur la lueur du poste. Au fur et à mesure de ces fluctuations, l’image se précise ou se dissipe, gagnant dans la déperdition ce qu’elle perd en raison.
Jusqu’au 23 mars, Arc/Musée d’art moderne de la Ville de Paris, 11 avenue du Président-Wilson, 75116 Paris, tél. 01 53 67 40 00, www.paris.fr/musees, tlj sauf lundi, 10h-19h, cat. édité par Paris-Musées, 200 p., 34 euros.
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Froid comme un vent solaire
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°165 du 21 février 2003, avec le titre suivant : Froid comme un vent solaire