Rien n’est plus étrange que de quitter le continent européen pour visiter une exposition telle que « Los Modernos » au Mexique. Des artistes comme Matisse, Bonnard, Picasso, Valadon, Braque, Francis Bacon et Soulages y sont confrontés à Diego Rivera, José Clemente Orozco, David Alfaro Siqueiros ou Rufino Tamayo. Cela est d’autant plus surprenant que la tendance du XXe siècle au Mexique est au muralisme, à l’appropriation de l’espace artistique par le peuple qui est plus enclin à peindre la révolution que les intérieurs tranquilles et bourgeois. Pourtant, l’exposition montre que les préoccupations artistiques restent en définitive les mêmes : des questions liées à la lumière, à la couleur, à l’espace ou à la ligne mais aussi des genres comme le portrait, le nu ou le paysage. Et l’on se rappelle alors la fascination mutuelle que, loin des « gringos » américains, les deux scènes artistiques à forte influence latine se sont vouée… Notamment à travers le fauvisme, le cubisme et le surréalisme, les séjours d’Antonin Artaud ou de Breton au Mexique ou la participation de Frida Kahlo et Diego Rivera au cercle surréaliste en témoignent.
L’exposition « Los Modernos » qui, après Mexico, s’est installée à Guadalajara, révèle les liens esthétiques qui unissent la France et le Mexique à travers cent quarante œuvres dont la moitié est prêtée par le Musée des beaux-arts de Lyon à l’origine de l’accrochage. Le reste provient du Centre Pompidou, du Musée Picasso et, bien sûr, des musées de Mexico et de collections particulières. Dans une scénographie qui ressemble au jeu des « sept différences », une œuvre mexicaine côtoie une œuvre française avec laquelle elle entretient d’étonnantes similitudes plastiques. Aussi simpliste que puisse paraître cette mise en scène, celle-ci se révèle pédagogique. Dans la partie paysage, par exemple, Maurice Utrillo peignant le Moulin de la Galette emploie une palette et un traitement du sujet proches de Fermín Revueltas dans La Indianilla. Les Bords de Marne d’Albert Gleizes (1909) semblent presque superposables à La Calle de Avila de Diego Rivera : la composition du tableau, les perspectives et la matière sont sur le même modèle. Côté nus, les corps ont la même massivité chez Dufy que chez Tamayo. Et quand, dans les années 1950, la ligne s’installe et que le cubisme est enfin digéré, les liens entre Picasso et Alfonso Michel sautent aux yeux et laissent même soupçonner de vraies connivences avec les arts africains.
Au-delà des jeux visuels, le visiteur européen se délecte de retrouver des œuvres fortes et méconnues du côté mexicain. Il se familiarise ainsi avec les paysans massifs des tableaux de Saturnino Herrán et découvre un Francisco Gutiérrez qui a quelque chose d’un De Chirico cubiste. Sans parler des masques de Germán Cueto, des « abstractions lyriques » de Carlos Mérida, Maria Helena Vieira da Silva, mais aussi Mathias Goeritz plus connu pour son influence dans l’architecture alors qu’un Diego Rivera nous montre des facettes moins connues de lui comme sa période cubisto-zapatiste. Côté européen, les artistes sont incontournables avec Léger, Gleizes, Derain, Dubuffet, un Matisse magnifique (L’Antiquaire) et des Picasso rares. Au passage, l’exposition fait redécouvrir un artiste lyonnais, Pierre Combet-Descombes, dont les nus et les personnages peints dans les années 1920-1930 sont un ravissement. Bref, l’exposition « Los Modernos », qui voyagera à Lyon en 2017, offre une belle relecture de l’histoire de l’art intercontinentale et rappelle que nous habitons un monde global où toutes les inspirations et les cultures se croisent, même à des milliers de kilomètres de distance, déjà au siècle dernier…
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France-Mexique, regards croisés
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Abonnez-vous dès 1 €Museo de las Artes
Universidad, Guadalajara (Mexique)
musa.udg.mx
www.mba-lyon.fr
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°691 du 1 juin 2016, avec le titre suivant : France-Mexique, regards croisés