Avec sa frange noire au ras des sourcils, sa fine moustache, ses grosses lunettes rondes et ses boucles d’oreilles, Léonard Foujita n’est pas homme que l’on oublie.
Son visage est d’ailleurs gravé dans la mémoire collective. Il fut l’une des figures les plus célèbres du Montparnasse des Années folles, l’enfant chéri de la presse et de la société parisienne. Il fut surtout l’un des maîtres de l’école de Paris, un peintre talentueux et opiniâtre, que l’on redécouvre sans cesse au fil des expositions. Cette année marque le 50e anniversaire de sa mort, et le Musée Maillol organisateur de l’événement a choisi de développer à travers une centaine de pièces les moments forts de sa vie. Lorsque ce jeune homme diplômé des Beaux-Arts de Tokyo débarque à Paris en 1913, la France ne connaît du Japon que les laques et les estampes qui ont inspiré Monet et Van Gogh. Sa personnalité attachante, son allure anticonformiste plaisent d’emblée. Installé à Montparnasse, il se fait rapidement le complice de nombreux artistes parmi lesquels Modigliani, Soutine et Picasso. Il met au point son style très particulier qui va fasciner l’époque, synthèse des arts oriental et occidental. En juin 1917, il accroche aux cimaises de la galerie Chéron des vues et des aquarelles dont la finesse du détail et du tracé associée à la fraîcheur pigmentaire lui valent un succès fulgurant. Propulsé sur le devant de la scène, Foujita est dans tous les salons et notamment au Salon d’automne. Mais son succès grandissant et sa vie mondaine n’entament en rien sa sérénité orientale et sa quête de spiritualité. Il expose à la galerie Chéron une série d’œuvres intitulées Compositions mystiques où ses figures se parent de feuilles d’or, comme jadis à Florence. En 1920, il rencontre Youki qui devient sa muse, sa compagne, son modèle exclusif. Ce sont les Années folles, tous deux participent à toutes les fêtes et bals de Montparnasse. L’hôtel particulier de Foujita devient un lieu de rencontre du tout-Paris des artistes et du monde des arts et de l’argent. Les années 1920 signent également son âge d’or et façonnent ce que sera son art jusqu’à la fin de sa vie : prévalence du dessin, goût calligraphique pour la précision et la finesse du trait et apparition du fameux fond blanc. À l’instar d’Ingres, du Titien ou de Vélasquez, Foujita réalise une série d’odalisques et de nus, genre absent dans la peinture japonaise, parmi lesquels Nu allongé de 1922 dont le corps nacré sur un fond noir rappelle les signes taoïstes du yin et du yang et dont le triangle pubien au centre de la toile dit que la femme est à « l’origine du monde ». Il peint également une série de portraits d’enfants aux yeux en amande, au regard troublé et troublant, tout droit sortis de contes merveilleux. L’autoportrait, exercice nécessaire pour un artiste, est pour Foujita l’élément constructif de sa propre légende. Parmi ses nombreuses compositions, Portrait de l’artiste le montre avec Miké le chat, témoin de sa création et présent au pied de ses modèles. On reconnaît sa physionomie particulière plaquée sur un fond blanc qui le fait ressembler à un acteur du théâtre kabuki. L’année 1928 le voit au sommet de sa gloire et de sa technique. Il réalise pour la Maison du Japon deux diptyques monumentaux intitulés Grande composition et Combats dont il va faire un véritable manifeste à l’art occidental. On observe de près ces glacis étonnants et l’incroyable maîtrise du trait de l’artiste. Parallèlement, il exécute un ensemble de huit panneaux pour le Cercle de l’Union interalliée dans lequel il reprend les techniques animalières de l’art japonais traditionnel. La réunion au Musée Maillol de ces deux extraordinaires ensembles décoratifs met en évidence le rôle de passeur voulu par Léonard Foujita, tant son œuvre se situe à la frontière de deux cultures, l’Orient et l’Occident.
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°711 du 1 avril 2018, avec le titre suivant : Foujita la dualité en héritage