Les collections du Musée national d’art moderne s’invitent une seconde fois à la Fondation Gianadda, autour de la figure de Modigliani.
En 1990, la FondationPierre Gianadda ajoutait une nouvelle pierre à l’édifice de sa popularité en accueillant un peu plus de 263 000 visiteurs à l’exposition « Modigliani ». La rétrospective proposée alors par le conservateur Daniel Marchesseau était ambitieuse : une soixantaine de tableaux et autant de dessins provenant des plus grands musées du monde avaient convergé vers la petite commune valaisanne. Vingt-trois ans plus tard, Amedeo Modigliani (1884-1920) fait son retour à Martigny, entouré pour l’occasion de ses compagnons de fortune (ou d’infortune) de l’école de Paris. Nul besoin, cette fois, de solliciter la terre entière pour voir se rejoindre Amedeo, Pablo, Chaïm et les autres : l’appui du Musée national d’art moderne-Centre Pompidou, à l’origine du projet, s’est révélé un argument implacable aux yeux des collections publiques et privées helvétiques. Une quinzaine de pépites suisses sont venues étoffer le prêt du musée parisien, constitué de 64 œuvres dont 9 Modigliani.
Un an après « Portraits », présentation exclusive de ses collections, et bien que l’exposition n’ait attiré que 50 000 visiteurs, une performance plutôt faible pour la fondation, le Centre Pompidou réitère l’expérience. L’opération est placée cette fois placée sous la houlette de Catherine Grenier, directrice adjointe du musée.
Creuset du cosmopolitisme
En 1990, Daniel Marchesseau, coorganisateur de la grande rétrospective du Musée d’art moderne de la Ville de Paris en 1981, voyait en Modigliani une figure isolée, imperméable aux influences si diverses de ses comparses montmartrois et montparnos. Si l’on peut déceler, çà et là, la mélancolie d’Henri de Toulouse-Lautrec, de vagues traces de pointillisme, l’influence incontestée de l’art primitif sur ses sculptures ou encore un soupçon de cubisme en 1915, Modigliani a creusé son propre sillon qu’il nourrit de tradition picturale italienne. Le maniérisme qui resurgit dans la dernière période du peintre (1917-1920) et les portraits de Jeanne Hébuterne en témoigne. Le seul artiste à avoir eu un impact fort sur Amedeo est Constantin Brancusi, rencontré à Paris en 1909 – soit trois ans après l’arrivée du Livournais dans la capitale. Sous l’œil attentif du Roumain, Modigliani se voue corps et âme à la sculpture. Non pas au modelage, qu’il qualifie de « perversion », mais à la taille directe. En l’espace de trois ans, l’artiste produit un nombre restreint de têtes de femmes d’une grande pureté formelle. Silencieuses et habitées, elles incarnent la fusion entre l’aspect brut de l’art primitif africain et océanien et l’économie de moyens de la statuaire archaïque khmère, un art que Modigliani a observé au Musée indochinois du Trocadéro. Fatigué et découragé, il abandonne en 1914. Les tableaux réalisés dès lors et jusqu’à sa mort en 1920 porteront dans leur grande pureté plastique les traces de cette pratique.
« Synthèse » est le mot qui revient de façon récurrente dans l’essai que Catherine Grenier consacre à l’artiste au sein du catalogue de l’exposition de Martigny. Criante dans les sculptures, cette synthèse, le serait tout autant dans les peintures. En relisant son œuvre par le biais de la fusion de deux cultures visuelles, synthétisée dans le portrait ancestral réinventé par la modernité, Catherine Grenier grossit le trait de son prédécesseur de 1990. Modigliani n’est plus une figure volontairement imperméable qui picore autour de lui avec parcimonie, mais son art serait un creuset du cosmopolitisme artistique du Paris des années 1910. Dans ses portraits, « se superposent et se croisent le schématisme de la sculpture, la relation complexe du plan et du volume que le cubisme a introduite, le rappel de la peinture primitive italienne et l’intérêt pour les arts primitifs. La synthèse des formes rejoint la synthèse des cultures ». La figure tient effectivement une grande place dans l’accrochage luxueux de la Fondation Gianadda. Expressionniste chez Soutine, délicate chez Jules Pascin, généreuse chez Moïse Kisling… Face aux Léger, Brancusi, Rudolf Lipschitz ou encore Picasso, lesquels ont pris la tangente, les peintres venus de l’Europe entière à Paris avaient encore beaucoup de choses à dire sur la forme humaine. Au-delà de Modigliani, la persistance de la figure dans la peinture et la sculpture, après l’électrochoc du cubisme, est le véritable sujet de l’exposition.
Commissaire : Catherine Grenier, conservatrice du patrimoine, directrice adjointe du Musée national d’art moderne
jusqu’au 24 novembre, Fondation Gianadda, 59, route du Forum, Martigny, Suisse, tél. 41 27 722 3978, www.gianadda.ch, tlj 9h-19h. Catalogue, 224 p., 37,50 €.
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Figuration délicate
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°395 du 5 juillet 2013, avec le titre suivant : Figuration délicate