VENISE / ITALIE
Il faut remercier le Palazzo Grassi d’offrir au public l’opportunité de se faire une idée précise d’artistes en vue grâce aux importantes expositions monographiques qu’il leur organise.
Après Rudolf Stingel, Urs Fischer, Sigmar Polke, Martial Raysse et Damien Hirst, c’est au tour du très prisé Albert Oehlen (né en 1954), peintre rattaché au courant des Nouveaux Fauves allemands, de recevoir les honneurs de la fondation installée à Venise.
Quatre-vingt-cinq œuvres, dont onze appartiennent à la Collection Pinault, sont ainsi présentées selon un accrochage thématique que la commissaire Caroline Bourgeois a voulu « syncopé entre les différents genres et périodes », pour mieux souligner l’importance de la musique dans le travail et la vie d’Oehlen – dans le catalogue, Jean-Pierre Criqui établit un parallèle avec le free jazz. La visite de l’exposition confirme ce que l’on savait déjà : Albert Oehlen est un peintre qui, depuis les années 1980 et l’utilisation des couleurs à l’huile, s’assume pleinement. Ne s’embarrassant guère avec le bon goût – comment ne pas penser au sang ou aux excréments dans la série H.A.T. ? –, il « barbouille » dans une facture déchaînée.
L’artiste a digéré les leçons des avant-gardes figuratives et abstraites du XXe siècle, de l’expressionisme allemand au pop art en passant par l’expressionnisme abstrait américain, passant de l’un à l’autre ou intégrant les deux dans une même composition. Il les a digérées, certes, comme pour mieux les expulser sur la toile. À la manière de Polke, qui fut son professeur dans les années 1970, Albert Oehlen s’amuse en effet avec les citations comme avec les conventions. Sa peinture est également pleine de dérision, voire d’autodérision.
Dans une salle de projection du palais, l’artiste diffuse un extrait du film Neuf semaines 1/2 sur l’une de ses toiles peintes aux doigts représentant un personnage les bras levés et ces trois lettres : « enc ». À l’étage supérieur, l’installation Autoportrait à la palette (2002-2005) allonge dans un vrai lit un autoportrait sur toile peint de facture classique, recouvert d’une couette. L’artiste s’amuse aussi avec les titres et les techniques, mélangeant dans une même composition la peinture à l’ordinateur, rehaussée de coups de pinceau et de peinture à la bombe. Mais, voilà, cette peinture née dans les années punk qui se veut sale et irrévérencieuse se révèle, à la longue, trop propre pour convaincre totalement. L’impulsivité maîtrisée et les barbouillages léchés finissent par trahir, derrière une apparente spontanéité, une peinture laborieuse écrasée sous le poids des procédés.
Palazzo Grassi, Collection Pinault, Campo San Samuele 3231, Venise (Italie), www.palazzograssi.it/fr
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°713 du 1 juin 2018, avec le titre suivant : Excès d’Albert Oehlen