Le Musée Christian-Dior évoque l’influence de Barbey d’Aurevilly sur le style du couturier.
GRANVILLE - « Le dandy doit aspirer à être sublime sans interruption, il doit vivre et dormir devant un miroir. » Détrompez-vous, Charles Baudelaire ne donne pas ici un mode d’emploi sévère du dandysme, il signe une authentique profession de foi. Malheur à celui qui pense qu’être dandy consiste à jouer un rôle, ou pire, à endosser un costume. Le dandysme est avant tout un état d’esprit, dont la recette alchimique n’est réservée qu’à quelques happy few. Ce phénomène aux racines anglaises doit son introduction en France à Jules Barbey d’Aurevilly (1808-1889). Publié en 1845, son ouvrage Du dandysme et de George Brummel livre les signes du dandysme, axés sur l’apparence aussi bien que sur l’attitude. Si, au cours du dernier siècle et demi, les codes vestimentaires ont naturellement changé, l’esprit dandy subsiste de manière indéfectible chez les icônes de la mode actuelle. Grand admirateur de Barbey, le couturier Christian Dior (1905-1957) y serait pour quelque chose. C’est en tout cas le postulat du Musée Christian-Dior, sis à Granville (Manche) dans la maison d’enfance du couturier, avec une exposition organisée à l’occasion du bicentenaire de la naissance de l’écrivain normand.
Élégance soucieuse du moindre détail, langueur héritée du romantisme, désinvolture du rebelle toujours chic…, les définitions du dandysme sont si variables que le commissaire Jean-Luc Dufresne, vice-président de la Société Barbey d’Aurevilly, a choisi d’utiliser le pluriel dans le titre de l’exposition. Sujet à interprétation personnelle, le dandy est ici inspecté au travers de tous les éléments de sa panoplie, de l’accessoire indispensable, tels le peigne à moustache de poche ou la canne parfois si fine qu’elle ne sert qu’à accompagner le mouvement, aux redingotes et gilets brodés et étroitement taillés. Sans oublier la ballerine que l’on a peine aujourd’hui à imaginer chaussée par un homme. L’androgynie est en effet l’une des caractéristiques fondamentales du dandysme, et tout l’art de Christian Dior fut d’inverser la tendance. Marchant dans les pas de George Sand, le couturier s’est amusé à introduire des éléments de la garde-robe masculine dans ses créations féminines, tout en cultivant l’androgynie de ses modèles pour homme. L’interpénétration des genres est surtout identifiable dans la gamme de parfums : le flacon Miss Dior arbore un nœud de cravate, tandis que les affiches publicitaires pour l’Eau sauvage mettent en scène un homme dénudé, aux cheveux souvent très longs, et mis en valeur façon pin-up.
Scénographie réussie
Rares sont les expositions dévolues à la mode masculine, et celle-ci doit en partie sa réussite à sa scénographie. Elle évite l’écueil du sempiternel alignement de mannequins, ou de la fadeur des vitrines de boutiques huppées de l’avenue Montaigne à Paris. La mise en scène marie portraits d’icônes – tels Robert de Montesquiou (par Giovanni Boldini), Jean Cocteau (par Jacques-Émile Blanche) et, bien entendu, Barbey (par Émile Levy) –, gravures, ouvrages, accessoires et ensembles vestimentaires, ce au rythme de citations plus savoureuses les unes que les autres. Saluons ici le travail de Frédéric Beauclair – également auteur de la muséographie l’hiver dernier de « Lorsque Versailles était meublé d’argent » –, dont le style théâtral est plus adapté à ce temple intime de la mode qu’aux salles du château de Louis XIV.
Jusqu’au 21 septembre, Musée et jardin Christian-Dior, villa « les Rhumbs », rue d’Estourville, 50400 Granville, tél. 02 33 61 48 21, tlj 10h-18h30. Catalogue, coéd. Musée/éd. Artlys, 96 p., 19,50 euros, ISBN 978-2-85495-343-5.
Site internet : www.musee-dior-granville.com
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Être ou ne pas être dandy
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Abonnez-vous dès 1 €- Commissaire général : Jean-Luc Dufresne, conseiller scientifique du musée et conservateur des musées
de Saint-Lô
- Commissaires associés : Barbara Jeauffroy-Mairet et Vincent Leret
- Nombre de salles : 6
- Scénographie : Frédéric Beauclair
- Dessins : Emmanuel Pierre
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°282 du 23 mai 2008, avec le titre suivant : Être ou ne pas être dandy