Le Musée de la Vie romantique fait resurgir Théophile Bra, sculpteur célébré
au XIXe siècle avant de sombrer dans l’oubli.
PARIS - L’Hôtel Scheffer-Renan dévoile pour la première fois au public parisien l’œuvre graphique de Théophile Bra (1797-1863), sculpteur reconnu pour les nombreuses commandes publiques qu’il honore. Auteur de statues pour l’Arc de triomphe, l’église de la Madeleine ou le palais du Louvre, il est progressivement tombé dans l’oubli avant d’être récemment redécouvert. Les feuillets ont été sélectionnés parmi les 10 000 pièces léguées à sa ville natale de Douai (Nord) en 1851. Cette prolixité, et la constance de sa production à travers le temps, rendent caduque toute tentative de datation.
La présentation propose une plongée dans l’univers illuminé de l’artiste, peuplé de créatures fantastiques sorties de son imaginaire ou de manuscrits médiévaux. Une tête de Christ dictée sous l’impulsion d’une crise somnambulique initie une production graphique placée sous le signe d’épisodes hallucinatoires subis ou provoqués. Le classement par thème rend compte des obsessions de l’artiste : Être suprême, têtes de feu ou autoportraits. Des visages qui incarnent tour à tour Jésus, Bouddha, comme dans Boudhah, bouddhisme boudeurs…, ou encore un principe spirituel, dans un mysticisme féru d’« Unité ». L’homme qui prête son visage au Christ est dénoncé comme fou par sa belle-famille, relayée par la presse de l’époque : « Il se croit Dieu et dicte ses prophéties […]. » Les écrits qui s’inscrivent à l’intérieur des dessins, dans son pourtour et ses légendes, résonnent en effet comme une prose sacrée. Une impression renforcée lorsque des signes inventés, à l’image d’un alphabet divin, remplacent les mots dans Hautes généralités universelles Genèse. Grâce à la reproduction sur les cartels d’extraits décryptés à partir d’une écriture souvent illisible, le visiteur a accès à une vision du monde singulière, nourrie de réflexions philosophiques et artistiques. Des extraits du journal intime de Bra, L’Évangile rouge (1826-1829) autorisent une incursion dans une aventure spirituelle hors du commun. En dépit d’éléments récurrents, le registre graphique des dessins se révèle multiple, recourrant soit aux symboles, imbriqués dans la figure de Tout émane au sein de l’absolu, soit à des compositions géométriques complexes, ainsi pour La Configuration humaine.
Personnallité double
Un trait ample et spontané, exempt de repentirs, démontre d’excellentes qualités de dessinateur. Une maîtrise certaine de l’anatomie, étudiée durant huit ans aux hôpitaux de Bicêtre et de la Pitié-Salpêtrière, caractérise par exemple la main aux volumes audacieusement hachurés de Ô tiens bien ce que tu tiens. Divers supports témoignent d’une production frénétique, envahissant compulsivement le moindre espace disponible. Au milieu de ces dessins, la statue de Mademoiselle Michel, commandée en 1825 par Augustin Mention, joailler de Paris, et de facture néoclassique, produit un contraste frappant. L’exposition présente ainsi le mérite de mettre à l’honneur un œuvre graphique très personnel, de montrer la face cachée de la carrière officielle du sculpteur. Elle met en relief une personnalité double, capable d’endosser l’habit de l’académisme et la normalité comme d’incarner le « mal du siècle » romantique.
Flora Jannot
- Commissaires de l’exposition : Jacques de Caso, professeur émérite, université de Californie, Berkeley ; Pierre-Jacques Lamblin, conservateur général, directeur de la bibliothèque municipale de Douai - Nombre de salles : 4
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Entre génie et folie
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Abonnez-vous dès 1 €jusqu’au 10 juin, Musée de la Vie romantique, Hôtel Scheffer-Renan, 16, rue Chaptal, 75009 Paris, tél. 01 55 31 95 67, tlj sauf lundi, 10h-18h. Catalogue, 179 p., éd. Paris-Musées, 30 euros, ISBN 9-782879-009940.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°253 du 16 février 2007, avec le titre suivant : Entre génie et folie