Les travaux filmiques réalisés par Stan Douglas ne sont jamais d’un abord facile. La dernière installation du Canadien, Le Détroit, actuellement présentée à la Kunsthalle de Bâle avant d’être montrée à la Biennale de Venise, est encore plus exigeante vis-à-vis du spectateur : il faut en effet un certain pouvoir de concentration pour capter ses images, même si cet effort est généreusement récompensé.
BÂLE - Depuis Der Sandmann, présentée en 1997 à la documenta X de Cassel, la double projection est devenue une marque quasi distinctive du travail de Stan Douglas. Ce dernier a en effet employé ce dispositif de façon variée dans des travaux comme Nu Tka (1996) ou Win, Place, or Show (1998). Pour Le Détroit, l’artiste a trouvé une façon complexe de s’en servir. Il a fait venir à Bâle deux gigantesques projecteurs de cinéma qu’il a posés – comme pour un duel – de chaque côté d’un écran semi-transparent dressé au milieu d’une grande salle. L’un d’eux projette la version positive d’un film en noir et blanc, tandis que l’autre diffuse simultanément et sur le même écran les images de sa copie négative. Ainsi, les deux images se neutralisent mutuellement pour nous confronter à une masse grise, animée par de petits éclairs lumineux. En fonction de la position du spectateur par rapport à l’écran apparaissent certaines bribes de l’image tantôt en version positive, tantôt en version négative.
L’effet lugubre, provoqué par le dispositif, est accentué par l’histoire racontée. La nuit, nous suivons une jeune femme noire qui pénètre dans une maison du centre de Detroit. Le bâtiment est à moitié démoli et rempli de meubles en partie détruits. Elle trouve des traces de chaussures sur un sol couvert de sable et ouvre des armoires, manifestement à la recherche de quelque chose. Elle voit alors à travers une fenêtre une voiture avec ses phares allumés garée devant la maison. Elle court vers le véhicule, se met au le volant et semble réfléchir un instant. Après quelques secondes, elle sort de la voiture, et pénètre à nouveau dans la maison. Le film recommence alors.
Cette histoire pourrait très bien être extraite d’un film d’horreur. Déjà, l’endroit où a été tourné le film provoque un sentiment d’angoisse. Cette sensation est similaire à celle que doit susciter la ville de Detroit, car le centre de cette ancienne capitale de l’industrie automobile est aujourd’hui quasi vide, une zone sans définition, et dangereuse – les riches s’étant retirés depuis un certain temps dans des faubourgs bien protégés. “C’est cette situation que je voulais documenter avec cette œuvre”, résume Stan Douglas dans un entretien qu’il nous a accordé.
En effet, l’artiste nous immerge profondément dans cette histoire. Un long moment passé face à ces lumières irritantes nous entraîne parallèlement dans le rythme scénique. Tout comme la protagoniste du film, qui semble vouloir trouver un objet caché, le spectateur cherche lui-même sans cesse les images du film.
Sur les traces du personnage, nous plongeons ainsi dans l’œuvre, à la recherche d’une solution à l’énigme proposée par Stan Douglas. Parce que Le Détroit est bien un nœud gordien, reste à savoir si, en sortant de la salle, le spectateur peut en trouver la clé.
- STAN DOUGLAS, LE DÉTROIT, jusqu’au 27 mai, Kunsthalle Basel, Steinenberg 7, Bâle, Suisse, tél. 41 61 206 99 00, tlj sauf lundi, 11h-17h, mercredi jusqu’à 20h30 ; catalogue, 56 p, env. 80F
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Énigme en salle obscure
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°125 du 13 avril 2001, avec le titre suivant : Énigme en salle obscure