À travers près de 200 objets (photographies, médailles, affiches, coupures de presse, lithographies, lettres), l’Historial de la Grande Guerre, à Pérrone (Somme), retrace l’itinéraire des Juifs pendant la Première Guerre mondiale. Conçue avec rigueur et intelligence, l’exposition témoigne d’un pan méconnu de notre histoire.
PÉRONNE - Pourquoi une exposition sur les Juifs pendant la Grande Guerre ? “La Grande Guerre a été le temps de la cristallisation symbolique la plus forte du don de soi à la Nation. Il est donc légitime de s’interroger sur les liens forgés par les Juifs de France dans le conflit et sur la prolongation dans la culture du souvenir”, explique Annette Becker, codirectrice du Centre de recherche de l’Historial de la Grande Guerre, à Péronne. Scindé en quatre parties, le parcours commence par évoquer la communauté “israélite” de l’avant-guerre – jusque dans les années 1950, les Juifs se définissent comme Israélites, car “ce mot désigne nettement et uniquement une religion” –, à travers des documents tel le sermon d’Isaac Lévy en 1872 rappelant l’attachement à la France, mais aussi des feuilles antisémites circulant pendant l’Affaire Dreyfus. Lorsque la guerre éclate, les Juifs célèbrent avec enthousiasme l’appel à l’Union sacrée, tant en France qu’en Allemagne. Dans le sermon du 20 septembre 1914, le rabbin Samuel Korb estime que les Israélites ont contracté “une immense dette de reconnaissance” envers la patrie qui les a émancipés, avec la Révolution française, tandis que des Juifs étrangers, russes ou ottomans, engagés dans l’armée française, clament : “Frères juifs ! Allons combattre pour la France, pour notre bien-aimée patrie, généreuse et hospitalière !” Du côté russe, malgré l’attitude discriminatoire du gouvernement, les Juifs soutiennent ardemment l’armée tsariste, espérant peut-être que le conflit atténuera l’antisémitisme de leur pays.
Jamais assez de dévouement
À travers les différents sermons ou lettres présentés, se profile l’idée que le sacrifice est un moyen pour affirmer son appartenance à la Nation. “Il n’y aura jamais assez de dévouement juif dans cette guerre, jamais trop de sang juif versé pour la France”, écrit l’ethnologue Robert Hertz dans une lettre adressée à sa femme. Dans chaque pays, la presse israélite s’enorgueillit du sacrifice des combattants et, comme pour conjurer l’antisémitisme, il est décidé en France et en Allemagne de consigner leurs actes héroïques. Comme les femmes, le rabbinat entre complètement dans le conflit, affirmant ses convictions patriotiques, composant des prières pour la victoire et incitant les familles à s’impliquer davantage. Des efforts qui n’empêchent pas la résurgence de vieux démons. En Allemagne, les milieux nationalistes mènent campagne contre les soldats juifs. “L’Allemand moyen n’aime pas le Juif. Je ne voudrais être ici qu’un soldat allemand, mais on fait tout pour que je comprenne que ce n’est pas le cas”, note le soldat Julius Marx. Figurant l’intérieur d’une synagogue saccagée dans laquelle un vieil homme découvre les cadavres de fillettes, la lithographie d’Albert Pann évoque les Malheurs des Juifs russes (ces derniers étant considérés par les troupes tsaristes comme des espions à la solde des Allemands) et les pogroms organisés sur le territoire polonais. Immortalisés en France autour de leur drapeau, sur une photographie noir et blanc prise vers 1930 à Paris, les Anciens Combattants juifs semblent croire encore à l’Union sacrée. Pourtant, se profile déjà la montée de l’antisémitisme contre lequel Le Volontaire juif, tente de lutter en rappelant le sang versé pour le “pays des Droits de l’homme”.
Jusqu’au 15 décembre, Historial de la Grande Guerre, château de Péronne, 80201 Péronne, tél. 03 22 83 14 18, tlj 10h-18h. Catalogue, 62 p., 15 euros.
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Enfants de la patrie...
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Abonnez-vous dès 1 €En 1914, à peine âgé de 21 ans, Marcel Felser a pour mission délicate d’électrifier les barbelés sur le front des Vosges. Il prend des clichés qu’il ne développera jamais. Récemment retrouvées par son petit-fils, les photographies du jeune soldat sont exposées à l’Historial de la Grande Guerre, à Péronne, jusqu’au 16 février. Ses images révèlent l’univers des tranchés : des soldats au poste de surveillance, figés dans l’attente, baïonnette au côté, un chasseur lové contre un lance-torpille, pris en contre-plongée et en plan très serré, ou encore ses caramades immortalisés sous une lumière crépusculaire. Son travail fait également l’objet d’un ouvrage : Un regard sur la Grande Guerre (éd. Larousse, 190 p., 32 euros).
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°158 du 8 novembre 2002, avec le titre suivant : Enfants de la patrie...