Dans le cadre de la saison tchèque, le Palais des beaux-arts de Lille présente, en collaboration avec la Galerie nationale de Prague, 170 œuvres des XVIIe et XVIIIe siècles (sculptures, peintures, gravures, objets d’art) illustrant l’évolution d’un courant artistique majeur porté par la
Contre-Réforme en Bohême :
le baroque.
LILLE - La Bohême, qui connaît sous le règne de Rodolphe II (1576-1612) un essor culturel et artistique sans précédent (lire le JdA n° 155, 27 septembre 2002), traverse, après la mort de l’empereur habsbourgeois, une période beaucoup plus sombre sur fond de guerres de religion (la guerre de Trente Ans). Écrasés par les troupes des impériaux et de la Ligue catholique lors de la bataille de la Montagne blanche (1620), des milliers de protestants des États de Bohême sont contraints à l’exil. Paradoxalement, c’est dans ce pays exsangue et dévasté que s’épanouit, à partir des années 1630-1640, une création artistique florissante dominée par le style baroque. À travers 170 œuvres des collections publiques et privées tchèques, le Palais des beaux-arts de Lille évoque la libération et l’évolution de cet art foisonnant et militant. “Contrairement à l’exposition organisée au Grand Palais en 1981 (“Le baroque en Bohême”), un peu indigeste en raison des centaines d’œuvres présentées, nous avons voulu, autour de quelques artistes majeurs couvrant un siècle et demi, greffer un contexte historique, culturel et religieux”, explique Arnauld Brejon de Lavergnée, commissaire de l’exposition et directeur du Palais des beaux-arts. Après des gravures et des modelli (maquettes) évoquant les grands groupes sculptés du pont Charles à Prague, est ainsi présenté le panthéon des saints patrons de Bohême, vivante illustration de la politique de reconquête catholique. L’intensification du culte voué aux saints locaux (Venceslas, Sigismond...) et la vénération de nouveaux saints comme Jean Népomucène sont notamment mis en lumière dans une belle série de bustes reliquaires en bois polychrome du milieu du XVIIIe siècle. La place centrale accordée à ce dernier personnage, martyrisé à la fin du XIVe siècle et canonisé en grande pompe en 1729, transparaît également dans les peintures de Franz Karl Palko, un artiste influencé par les maîtres vénitiens du XVIIIe siècle. On remarquera en particulier une étonnante petite huile figurant le corps du saint flottant sur la Vltava (vers 1760), image pieuse dont les accents préromantiques firent douter les spécialistes de l’authenticité de l’œuvre.
Les trois temps du baroque
À cette évocation de la “Bohemia sancta” succède un parcours chronologique présentant tour à tour les débuts, l’apogée et les derniers feux du baroque. Les personnalités fondatrices de ce style sont le peintre Karel Skréta et le sculpteur Johann Georg Bendl. Ayant séjourné à Rome, Milan et Turin, Skréta introduit en Bohême des éléments italianisants qui influenceront profondément l’évolution ultérieure de la peinture. En témoigne notamment L’Innocence de la vestale Tuscia mise à l’épreuve (avant 1630), un tableau de jeunesse à la chaude luminosité et aux coloris vénitiens. Chef de file de la sculpture baroque précoce, Bendl fait la synthèse entre héritage de l’Antiquité classique et innovations romaines, à l’image de sa remarquable statue en bois de l’archange Raphaël dont le beau visage classique contraste avec le traitement baroque des drapés. Souvent polychrome, en tilleul – un matériau traditionnel de la région – et monumentale, la statuaire gagne en expressivité et en pathos dans la seconde moitié du XVIIe et le premier tiers du XVIIIe siècle, en particulier chez le sculpteur Matthias Bernhard Braun. Tyrolien d’origine, cet artiste devient, après des études en Italie du Nord et à Rome, le “Bernin tchèque”. La meilleure illustration en est probablement son Saint Jean Népomucène (1721). Dans cette statue grandeur nature, torsion du corps, gestuelle appuyée ou encore drapés creusés et virevoltants témoignent de la parfaite assimilation du baroque romain. À l’instar de la sculpture, la peinture réalise durant cette période une synthèse locale de différents courants. Bien qu’il n’ait jamais séjourné en Italie, Peter Brandl s’impose comme le meilleur interprète de ce syncrétisme, notamment dans deux œuvres (le Buste d’un apôtre et Siméon et l’Enfant Jésus) “à la facture libre et moderne à mi-chemin entre Rembrandt et Monticelli”, selon Arnauld Brejon de Lavergnée. Dernier grand peintre du baroque bohêmien, Brandl laisse place, dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, aux gracieux tableaux de genre du Pragois Norbert Grund, virtuose de la miniature de cabinet. Le baroque est mort, vive le rococo !
Jusqu’au 5 janvier, Palais des beaux-arts de Lille, 18 bis rue de Valmy, 59000 Lille, tél. 03 20 06 78 00, tlj sauf lundi matin et mardi 10h-18h, vendredi 10h-19h. Catalogue, éd. RMN/Ville de Lille, 216 p., 38 euros.
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Enfant de Bohême
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Abonnez-vous dès 1 €“Bohemia Magica”? donne également rendez-vous aux amoureux de Prague dans le jardin des Tuileries, pour une promenade littéraire et artistique (tél. 01 40 20 90 43, jusqu’au 15 décembre). Cette exposition, organisée par l’Afaa (Association française d’action artistique), Monum (Centre des monuments nationaux) et le ministère tchèque de la Culture, présente une cinquantaine de photographies de la ville, choisies pour leur beauté et leur étrangeté, ainsi qu’un ensemble de textes d’écrivains tchèques et français.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°158 du 8 novembre 2002, avec le titre suivant : Enfant de Bohême