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Éluard intime

Par Éric Tariant · Le Journal des Arts

Le 12 mars 2013 - 790 mots

Le palais Lumière, à Évian, met à l’honneur le poète Paul Éluard dans son intimité et révèle son activité méconnue de collectionneur.

ÉVIAN - Elles sont là, partout présentes, salle après salle. Gala, Nusch, Dominique, les femmes de sa vie. Mais aussi toutes celles qui l’ont admiré et qu’il a accompagnées : Valentine Hugo, Leonor Fini, Claude Cahun, Valentine Penrose et bien d’autres.
C’est en 1913, lors d’un séjour au sanatorium de Clavadel (Suisse) où il est soigné contre la tuberculose, que Paul Éluard (1895, Saint-Denis-1952, Charenton-le-Pont) rencontre Helena Dmitrievna Diakonova, surnommée « Gala ». Étudiante cultivée, proche de l’avant-garde russe, c’est elle qui l’éveille à la poésie. Éprise de lui, elle traverse l’Europe en guerre pour le rejoindre en 1916. Ils se marient en 1917 ; leur fille, Cécile, naît en 1918. Une photo anonyme de 1913 les montre enlacés, costumés en Pierrot, toisant le spectateur. Une autre, lors de leur mariage : Paul Éluard est affublé de l’uniforme militaire bleu horizon de son régiment d’infanterie et de l’inimitable capote « Poiret » ; Gala porte une robe stricte et un chapeau sombre. Regard hypnotique et visage fermé, on la retrouve en 1924, saisie par l’objectif de Man Ray.

En 1929, il rencontre Maria Benz, surnommée « Nusch », qu’il épouse en 1934. « Vingt-huit novembre mil neuf cent quarante-six. […]/Nous ne vieillirons pas ensemble. […]/Voici le jour. […]/En trop : le temps déborde. […]/Mon amour si léger prend le poids d’un supplice », écrit-il, l’année de la disparition de Nusch terrassée en pleine rue par une hémorragie cérébrale. Dix portraits de sa muse, signés par Man Ray et Dora Maar, illustrent le recueil Le temps déborde, dans lequel éclate sa beauté lumineuse. Trois ans plus tard, en 1949, au Congrès de la paix de Mexico, il rencontre Dominique Lemor, une journaliste qui s’est engagée à la Libération dans l’armée de terre comme auxiliaire féminine.
Attentif aux mystères et aux vicissitudes de l’amour, auteur d’admirables poèmes pleins de délicatesse comme « L’Amoureuse » (« Elle est debout sur mes paupières/Et mes cheveux sont dans les siens »), il est aussi celui qui répète, avec Rimbaud, que « l’amour est à réinventer ».

Poésies de la Résistance
C’est un Éluard intime que dévoile l’exposition d’Évian à travers sept chapitres thématiques ponctués par ses rencontres amoureuses, amicales ou militantes. On le suit depuis ses premiers poèmes signés de son véritable patronyme Eugène Grindel, jusqu’aux poésies de la Résistance. On le retrouve aux côtés du Mouvement de la Paix et du Parti communiste français, dont il fut l’un des ambassadeurs. Auprès de Picasso, l’ami le plus précieux qu’il rejoint dans son engagement antifranquiste.
Dès ses premiers poèmes, Éluard s’affirme comme défenseur de la liberté. Ayant été le témoin de l’effroyable boucherie de la Première Guerre mondiale, son goût de la liberté s’accompagne d’une ardente volonté de paix. Son poème « Liberté », publié en 1942, deviendra le symbole du refus des intellectuels de France de se soumettre à l’oppression nazie. Le manuscrit autographe montre le titre initialement prévu par l’auteur, « Une seule pensée », raturé. « En composant les premières strophes, je pensais révéler pour conclure le nom de la femme que j’aimais à qui le poème était destiné. Mais je me suis vite aperçu que le seul mot que j’avais en tête était le mot “Liberté” », expliqua Paul Éluard en 1952, lors d’une conférence.

Poète sans cesse taraudé par les soucis d’argent, il fut aussi un collectionneur actif – doublé d’un courtier en art – épris de peinture, de sculpture mais aussi d’objets d’« art sauvage » qui trônaient dans son bureau de Charenton-le-Pont, un espace reconstitué au palais Lumière. On regrettera que Sylvie Gonzalez, la commissaire de l’exposition, n’ait pas réuni plus de peintures et sculptures de son admirable collection aujourd’hui dispersée dans le monde entier. Et que l’exposition soit essentiellement axée autour du Fonds Éluard du Musée d’art et d’histoire de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis) qu’elle dirige. Quid des portraits de Nusch par Magritte ou de ceux de Gala et de Nusch par Dalí ?

Eluard achète, collectionne, échange et promeut les œuvres des artistes devenus ses amis. Il célèbre la beauté plastique des œuvres d’art premier tout en louant les civilisations qui les ont créées, civilisations qu’il oppose à la sécheresse de la rationalité occidentale. Anticolonialiste, il appelle à ne pas visiter l’Exposition coloniale de 1931 et contribue à l’organisation de « l’exposition anti-impérialiste ». « Je travaille comme un nègre », écrira, non sans humour, Éluard à Gala, évoquant cette « contre-exposition » à laquelle il participa très activement

PAUL ÉLUARD, POÉSIE, AMOUR ET LIBERTÉ

jusqu’au 26 mai, palais Lumière, quai Albert-Bresson, 74500 Évian, tél. 04 50 83 15 90, tlj 10h-19h, sauf le lundi 14h-19h, www.ville-evian.fr

Légende photo

Fernand Léger, Paul Eluard (1947) - aquarelle et encre de Chine sur papier, 28,5 x 22,7 cm, museÌ?e d’art et d’histoire, Saint-Denis. © Photo : IreÌ€ne AndreÌ?ani.

Thématiques

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°387 du 15 mars 2013, avec le titre suivant : Éluard intime

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