Il est le plus méconnu de nos grands designers. Et pourtant, ses créations
se révèlent à long terme prémonitoires et indémodables. Marc Berthier est mis à l’honneur par une très belle exposition à la galerie du VIA qui rassemble ses œuvres les plus récentes.
PARIS - Dès la vitrine sur l’avenue Daumesnil, le visiteur est informé : Marc Berthier n’agit pas seul. Les quatre protagonistes d’eliumstudio – Élise Berthier, Marc Berthier, Pierre Garner, Frédéric Lintz – sont présents au rendez-vous, avec leurs noms imprimés sur le dossier des quatre fauteuils Hook alignés comme à la parade.
C’est au fond une vieille histoire qui s’écrit là. Dès les origines, dans les années 1960, Marc Berthier a souhaité s’entourer de collaborateurs, d’associés qu’il a toujours su choisir, repérer, avec un rare discernement. S’amuser à dresser la liste de ceux qui sont passés dans son studio, depuis les Daniel Pigeon, Patrick Arlet et Alain Chauvel des débuts jusqu’aux trois comparses d’aujourd’hui, équivaut à composer une sorte de Who’s who du design français, surtout si l’on y rajoute les noms des étudiants (Bruno Bellamiche, Cécile Couétard, Matali Crasset, Thierry Gaugain, Patrick Jouin, Jean Marie Massaud, les Tsé & Tsé... ), qu’il a formé aux Ateliers (École nationale supérieure de création industrielle) où il enseigna longtemps. À l’évidence, Marc Berthier est un poids lourd dans ce petit monde-là.
Paradoxe des paradoxes, ce poids lourd ne s’intéresse qu’à la légèreté. Et le démontre tout au long du parcours que constitue l’exposition des produits conçus par le quatuor d’eliumstudio . Trois voûtes rythment l’espace, chacune d’entre elles signalée par un grand totem en toile de spi, gonflé à l’hélium. Et, d’une voûte à l’autre, se déroule l’ensemble des productions, conçues et développées pour des firmes internationales, telles Lexon (France), Fujitsu (Japon), Rowenta (Allemagne), Magis (Italie)... et embrassant tous les domaines du quotidien : mobilier, mode, véhicule, sport, architecture, électronique, accessoires de la table et du jardin. Ces produits sont très largement diffusés et connus de tous sans que jamais ne s’y attache le nom du créateur. C’est que les quatre acteurs d’eliumstudio, se référant à Klee qui affirmait “l’œuvre consacre l’échec de toute théorie”, préfèrent toujours agir plutôt que disserter. Ces réalisations sont toutes un éloge de la légèreté. Une idée fixe, métaphysique, aux limites de l’obsessionnel, de celles qui fondent l’art des grands créateurs, à laquelle Berthier sacrifie depuis des décennies et souscrivent ses trois très jeunes associés. Une légèreté que l’informatique et le numérique leur permettent de rendre de plus en plus palpable. Cette légèreté vole d’une calculatrice à un fauteuil surdimensionné, d’une lampe à une bicyclette, d’un ventilateur de table à une bibliothèque, d’un frisbee à une chaise longue, d’un poste de radio en caoutchouc qu’on emporte au bain avec soi à une horloge murale, d’un balai-brosse à un arrosoir d’appartement...
Le 20 mars 2000, l’hebdomadaire américain Time titrait sa couverture par un optimiste “The Rebirth of Design” avec, en illustration, un poste de radio plongé dans un bocal rempli d’eau, ainsi légendée : “Rubber Radio by Marc Berthier”. Cinquante ans plus tôt, c’est Raymond Loewy qui avait eu les honneurs de la couverture du Time. Entre les deux, rien. Méconnu ici, reconnu outre-Atlantique et sollicité dans le monde entier, Marc Berthier est indubitablement un designer complet, comme on le dit d’un athlète. Il y a, chez lui et ses trois associés d’eliumstudio, une réelle éthique de l’esthétique qui rend chacune de leurs créations tendue, intègre, dénuée d’arrogance, évidente et mystérieuse tout à la fois : une éthique de l’esthétique servie par une écriture fluide et merveilleusement lisible, par un “ton” unique et pourtant étonnamment pluriel, une expression rigoureuse et cependant d’une infinie souplesse. Toutes choses que cette exposition démontre à satiété.
- MARC BERTHIER, jusqu’au 17 mars, galerie du VIA, 33 avenue Daumesnil, 75012 Paris, www.eliumstudio.com
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Éloge de la légèreté
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°140 du 11 janvier 2002, avec le titre suivant : Éloge de la légèreté