Les Archives nationales montrent comment la Révolution de 1789 a joué un rôle essentiel dans la nouvelle conception de la justice en France
PARIS - Organiser une exposition autour de documents d’archives est un exercice périlleux auquel le musée des Archives nationales, à Paris, apporte, à chaque nouvelle manifestation, des solutions judicieuses. L’hôtel de Soubise enquête actuellement sur les crimes et délits commis sous la Révolution et met en lumière un nouveau pan de ses collections. « Nous mettons ici l’accent sur la réforme totale initiée en 1789 en matière de justice, ce qui est, en général, attribué à Napoléon », explique Régis Lapasin, l’un des commissaires de l’exposition. La justice a, en effet, occupé une place primordiale lors des débats à la Constituante et à la Législative où des choix radicaux ont été opérés. Le 24 mars 1790, l’Assemblée constituante décrète ainsi que « l’ordre judiciaire sera reconstitué dans son entier ». Un nouveau système se dessine alors pour répondre aux cahiers de doléances (dont est présenté un exemplaire datant de mars 1789) qui dénoncent un système vénal – le juge achetait sa charge sous l’Ancien Régime –, inégalitaire, inhumain, complexe et, surtout, arbitraire.
Pour y remédier, la Révolution propose des changements fondamentaux : élection des juges, apparition de l’avocat et des experts (graphologues ou chirurgiens), mise en place des interrogatoires contradictoires qui permettent au justiciable de se confronter à ses juges, instauration des jurys populaires, de la publicité de jugement, nouvel agencement du tribunal qui doit faire une large part au public. « Avant de se lancer sur une exposition autour des archives, il faut se demander si c’est réalisable. Les pièces à conviction ont constitué une formidable matière première pour concevoir le parcours qui fait finalement peu appel à d’autres objets que les archives elles-mêmes », précise Régis Lapasin.
Appartenant aux prévenus ou aux victimes, les pièces à conviction ont été versées aux dossiers et conservées pêle-mêle dans les cartons pendant plus de deux siècles. S’y trouvent beaucoup d’objets anonymes, tels un nécessaire à couture, un étui à lunettes, une cocarde tricolore, un livre de comptes, une fiole avec des résidus de produit (du poison ?) et beaucoup de portefeuilles dérobés ou retrouvés (les bijoux et montres ont, eux, sans surprise, disparu des dossiers), à partir desquels il est possible de tout imaginer. « C’est le côté voyeur de l’archiviste qui s’immisce dans la vie des autres », s’amuse Régis Lapasin. Parallèlement à l’évocation d’une nouvelle conception de la justice, se dessine ainsi le quotidien des Français, particulièrement des Parisiens, sous la Révolution. « Les historiens se sont beaucoup focalisés sur les grands procès politiques de la Terreur, ajoute l’archiviste. Nous mettons ici en lumière la justice ordinaire ; ce qu’on perd en éclat, on le gagne en profondeur ».
La prison remplace les châtiments corporels
Une aubergiste tuée d’un coup de bouteille par un soldat ivre quai du Louvre, un marchand qui assassine un prêtre insermenté, un boulanger qui chaparde du pain, des vols organisés à la va-vite pour subvenir à ses besoins, sans oublier l’affaire du garde-meuble ou vol du trésor de la Couronne en 1791 : ces faits divers font émerger les destinées de gens modestes qui, le plus souvent, ont cédé à ce que Régis Lapasin appelle « une délinquance de pénurie ». Des receleurs plus aisés profitent de la situation, des faussaires aussi, surtout depuis la relance du papier-monnaie. Des vitrines dévoilent les ustensiles de différents ateliers de faussaires saisis par la justice : encre utilisée pour teindre le papier, pinceaux, couteaux, fausse monnaie et bons de congés militaires falsifiés à la main ou par la gravure. Mais pas question de plaisanter avec la nation. Les crimes contre l’État sont considérés, depuis le code pénal de 1791, comme les infractions criminelles les plus graves et sont punis par la peine de mort. Remplaçant les châtiments corporels, la prison est devenue la punition par excellence, tandis que le principe de la peine de mort a été remis en question par certains députés. Le pas n’est pas franchi et c’est à la guillotine, considérée alors comme une solution médicale pour ôter la vie sans faire souffrir, qu’il revient de clore le propos. Il reste maintenant un important travail à réaliser sur ces archives qui, jusqu’à présent, ont été peu étudiées par les historiens…
Coordination générale et commissariat : Aurélie Brun, Corinne Charbonnier, Régis Lapasin, Brigitte-Marie Le Brigand, Sabine Meuleau, Marie Pignon, département de l’action culturelle et éducative des Archives nationales
Conseil scientifique : Jacqueline-Lucienne Lafon, historienne du droit
Commissariat scientifique :Scénographie : Véronique Dollfus
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Abonnez-vous dès 1 €LA RÉVOLUTION À LA POURSUITE DU CRIME !, jusqu’au 15 février, Archives nationales, hôtel de Soubise, 60, rue des Francs-Bourgeois, 75003 Paris, tél. 01 40 27 60 96, www.archivesnationales.culture.gouv.fr/anparis , tlj sauf mardi et jours fériés 10h-12h30 et 14h-17h30, le week-end 14h-17h30
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°317 du 22 janvier 2010, avec le titre suivant : Égaux en droits