Les photographies de l’Américain Ed Ruscha (né en 1937) constituent l’activité « secondaire » indispensable pour saisir la cohérence et la puissance visuelle d’une œuvre majeure. Le Jeu de paume-site Concorde, à Paris, leur consacre actuellement une exposition où l’on découvre, outre images de jeunesse, couvertures de magazines, livres et travaux préparatoires, d’étonnants hologrammes.
En France, vous êtes plutôt connu en tant que peintre. Votre photographie a été redécouverte récemment. L’exposition du Jeu de paume réunit de nombreux clichés provenant de votre premier voyage en Europe, en 1961. Quel était votre intérêt pour la photographie à vos débuts ?
Venir en Europe fut pour moi un grand moment. Je quittais les États-Unis, et je n’avais aucune idée de ce que je pouvais attendre de l’Europe. J’ai pris un appareil photo et, simplement, j’ai commencé à faire des instantanés, une image de ceci, une autre de cela.
En faisant mes études, j’ai compris que les beaux-arts étaient pour moi la peinture, mais j’ai aussi suivi un cours de photographie, où j’ai pris conscience de ce que des photographes comme Walker Evans ou Robert Frank faisaient à cette époque. Ils m’ont beaucoup influencé, tout comme Marcel Duchamp – très tôt, dès l’école d’art.
Et puis j’ai grandi en Oklahoma, qui donne l’image d’une terre perdue. Walker Evans avait « fait » l’Oklahoma, il l’avait vu, comme Robert Frank d’ailleurs. Ces photographies m’ont parlé très directement, mais je n’avais aucun concept en tête que j’aurais voulu traduire en peinture. Je ne me suis pas vu comme un photographe, je n’ai jamais eu cette inspiration. Pourtant je pense que la photographie a eu des influences indirectes dans ma peinture.
Avez-vous pensé à lier peinture et photographie ?
Je n’ai jamais trouvé de manière visuelle complètement satisfaisante pour les lier. Mais, aujourd’hui encore, la photographie a un pouvoir sur moi, particulièrement le noir et blanc, l’ancien style, le « old school ». De nos jours, des photographes vraiment intéressants font des choses nouvelles, mais ils n’influencent pas nécessairement mon point de vue.
Avez-vous pensé la photo comme un médium préparatoire à la peinture ?
Jamais vraiment. Pour moi, elle fut un véhicule, une excuse, pour faire des livres que j’ai envisagés comme le résultat final de mon énergie créative. Il y avait une certaine idée de la collection de photos dont le livre était le principal élément, la principale découverte pour moi. Je dirais presque que la photographie était secondaire.
Précisément, pourquoi avoir axé votre travail de photo des années 1960 et 1970 sur les livres ?
Quand j’étais étudiant, je travaillais pour un imprimeur à Los Angeles et j’y ai réellement vu la beauté des livres. J’ai le sentiment que même mes peintures actuelles sont comme des couvertures de livres. En peignant un mot, j’avais parfois le fantasme qu’il était le titre de mon livre, donc peut-être aussi la couverture. Je pense que beaucoup de mes tableaux sont comme des couvertures de livres fantasmatiques.
Quand et pourquoi avez-vous décidé de « libérer » vos images du livre et de les accrocher au mur ?
Plus ou moins au même moment. J’avais un gros appétit pour faire de l’art de différentes manières.
Vos sujets, stations-service, piscines, parkings… ne possèdent pas de valeur esthétique particulière. Comment les avez-vous choisis ?
Ce choix fut parfois très spontané et j’ai fait les clichés très facilement. Pour les Nine Swimming Pools (1968) par exemple, j’ai vu une piscine depuis la rue et je l’ai photographiée comme ça. J’ai ensuite pensé en faire d’autres, mais je n’en ai pas cherché cent, j’en ai regardé neuf. Quand j’approche le sujet, je le fais avec une foi aveugle. Je prends un lieu très simple et j’agis simplement avec cette chose que j’ai en tête.
La notion de hasard dans la découverte de ce que vous avez choisi de représenter est-elle importante ?
Oui. Quand un accident ou une erreur se produisent, parfois vous découvrez des choses que vous n’attendiez pas. Je ne sais pas exactement ce que je veux dans mon travail, mais j’en ai une idée préconçue.
Beaucoup de vos clichés ont été pris à l’extérieur. Vous êtes très sensible à l’idée de paysage ?
Le paysage est partout présent dans mon travail. C’est un paysage ! Même des mots à travers une page, c’est un paysage. C’est la même chose dans mes tableaux, l’organisation et la forme des caractères, c’est comme un paysage.
Votre représentation des choses semble très neutre. Est-ce un style, ou diriez-vous que vous avez un « non-style » ?
Je pense que la neutralité est un style et que je n’avais pas de style ! J’utilise le « non-style ». J’ai créé cette police de caractères sans courbes dont je me sers dans beaucoup de mes peintures. Je l’ai nommée « Boy Scout Utility Modern ». Pour moi, c’est comme quelqu’un qui travaille pour une compagnie de téléphone et doit faire une affiche pour le pique-nique de l’entreprise. C’est le genre de lettrage qu’il utiliserait. Dans un sens, c’est donc un « no style », et c’est important.
Jusqu’au 30 avril, Jeu de paume, 1, place de la Concorde, 75008 Paris, tél. 01 47 03 12 50, www.jeudepaume.org, tlj sauf lundi 12h-19h, samedi-dimanche 10h-19h, mardi 12h-21h. Cat., coéd. Steidl/ Whitney Museum of American Art/Jeu de paume, 180 p., 200 ill., 30 euros, ISBN 3-86521-257-3
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Ed Ruscha : « Quand j’approche le sujet, je le fais avec une foi aveugle »
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°231 du 17 février 2006, avec le titre suivant : Ed Ruscha