Dans l’écrin fastueux du château de Versailles, pagodes, porcelaines et dragons témoignent de la fascination des souverains français pour une Chine plus fantasmée que réelle.
VERSAILLES - Le 24 mars dernier, le président chinois Xi Jinping était reçu avec tous les honneurs par François Hollande sous les lambris dorés du château de Versailles. Par ce geste diplomatique célébrant le 50e anniversaire des relations franco-chinoises, l’empire du Milieu recroisait symboliquement la route du palais des rois de France. Car aussi étonnant que cela puisse paraître de prime abord, « entre Versailles et la Chine, c’est une longue histoire », rappelait, le jour du vernissage, Béatrix Saule, la directrice des musées de Versailles et du Trianon.
Sous le règne de Louis XIV, et davantage encore sous ceux de Louis XV et de Louis XVI, la Cour se pâma en effet avec délectation devant les porcelaines, éventails, soieries, coupes en jade et autres panneaux de laque déversés par cargaisons entières par les imposants navires de la Compagnie française des Indes orientales. Certes, cet engouement ne surgit pas ex nihilo. Des ambassadeurs prestigieux préparèrent le regard, tel le voyageur vénitien Marco Polo (1254-1324) dont les récits à la cour de Qubilaï Khan enflammèrent, au XIIIe siècle, les esprits les plus fins de toute l’Europe. Mais c’est véritablement Louis XIV qui, le premier, initia une politique diplomatique d’envergure en direction de l’empire du Milieu. À la vision fantasmée et idyllique allaient bientôt succéder des informations de première main colportées par les missionnaires jésuites. C’est donc sous le triple sceau de la religion, de la culture et des sciences que furent placées les relations entre le Roi-Soleil et son quasi-contemporain, l’empereur Kangxi. Louis XIV en personne n’alla-t-il pas jusqu’à financer sur ses propres deniers l’expédition en Chine de six jésuites français en qualité de « mathématiciens du roi » ? Non contents de gagner la confiance de l’empereur, ces scientifiques de haute volée informèrent en retour les Européens de tout ce qu’ils découvraient dans l’empire du Milieu…
Des chinoiseries exotiques « à la française »
Cependant cette épopée diplomatique fut aussi une aventure esthétique et culturelle sans précédent. Véhiculée par les gravures, toute une imagerie nourrit bientôt l’inspiration des artistes. La pagode de Nankin influença ainsi l’architecte Louis Le Vau lorsqu’il recouvrit son « Trianon de Porcelaine » de panneaux et de vases de faïence ! Sous le règne de Louis XV, l’appel de la Chine se fait plus fort encore. De François Boucher à Nicolas Lancret en passant par Jean-François de Troy, on ne compte plus désormais les peintres qui truffent leurs toiles d’allusions « exotiques ». Leurs compositions relèvent cependant davantage du rêve que de la description ethnographique, telle cette Chasse chinoise (1736) de Jean-Baptiste Pater aux accents d’opérette ! Toute la saveur de cette exposition – pour laquelle la commissaire Marie-Laure de Rochebrune a obtenu des prêts exceptionnels – repose précisément sur l’analyse de cette adaptation des motifs et matériaux chinois aux goûts et aux exigences d’une nouvelle clientèle. Certes, on se pique de garnir ses appartements de papiers peints chinois à décors de fleurs et d’oiseaux, on s’évente avec des éventails de soie et l’on collectionne avec frénésie les porcelaines et les coupes en jade venues de Chine. On n’en demeure pas moins fidèle à une certaine conception du Beau « à la française ». En témoignent des pièces composites à souhait, comme cette porcelaine à glaçure céladon métamorphosée par la grâce d’une monture dorée en fontaine à parfum ou bien encore cet imposant vase « customisé » en tabouret de jardin !
Plus original et plus sûr apparaît le goût de la reine Marie-Antoinette, véritable collectionneuse de son état, qui aimait s’entourer de pièces délicates provenant de Chine (telle cette série de porcelaines d’époque Kangxi d’un magnifique turquoise), mais aussi du Japon. C’est néanmoins au cœur de son domaine que la jeune épouse de Louis XVI allait réconcilier ses deux passions pour l’art et la nature. En 1776, un jardin « anglo-chinois » fut planté au Petit Trianon, agrémenté aussitôt d’un manège dit « Jeu de bague » chinois doté de sièges en forme de paons et de dragons dorés. La reine ne pouvait rêver plus belle monture pour s’envoler vers les sphères célestes de l’empire du Milieu.
Commissaire : Marie-Laure de Rochebrune
Jusqu’au 26 octobre, Château de Versailles, tlj sauf lundi, 9h-18h30, www.chateauversailles.fr, catalogue coédition château de Versailles/Somogy, 280 pages, 39 €.
Légende photo
Jean-Baptiste Pater, La Chasse chinoise, 1736, huile sur toile, musée du Louvre, Paris, dépôt au musée de Picardie, Amiens. © Photo : RMN/Hervé Lewandowski.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°416 du 20 juin 2014, avec le titre suivant : Du « Made in China » à la cour de Versailles