LYON
La scène artistique du Beyrouth des années 1958 à 1975 et la figure d’une ouvrière canut donnent lieu à de belles expositions au MAC, quand le couvent de La Tourette accueille Penone.
Lyon. Tandis qu’« Un monde d’une promesse infinie » se déploie principalement dans les anciennes usines Fagor et au Musée Guimet en réunissant la plupart des œuvres de commande, les deux autres volets de la Biennale occupent l’intégralité des espaces du MAC, Musée d’art contemporain de Lyon. « Les nombreuses vies et morts de Louise Brunet » [voir ill.], au troisième étage, part de la destinée d’une jeune femme emprisonnée pendant la révolte ouvrière des canuts, contrainte plus tard à s’exiler au Liban pour y travailler dans les fabriques de soie lyonnaises. Son histoire sert de prétexte littéraire à une célébration des formes de marginalité et d’émancipation individuelles, abordant de façon subtile les thèmes très actuels de genre et de race, à travers des œuvres et des objets d’époque et de provenance extrêmement diverses.
On sent que, pour cet accrochage, les deux commissaires ont pris plaisir à opérer des rapprochements à la manière d’installations. Au centre du parcours divisé en six sections que séparent de hauts voilages blancs, la vidéo Prelude to an Announced Death (1991), œuvre ultime de l’artiste brésilien Rafael França (1957-1991), apparaissant comme une ode à l’amour sur fond de Traviata et des années sida, est entourée par un saisissant portrait d’octopus en triptyque de Richard Learoyd. Plus loin, les maternités iconoclastes d’Ann Agee côtoient des Vierges à l’Enfant plus conformes à l’iconographie classique… Et une splendide sculpture de Joachim Bandau (Grosses Weiss Tor, 1969) illustre le trouble né d’un corps hybridé avec la machine. Les visiteurs les plus récalcitrants demeureront peut-être hermétiques à ces associations d’images et d’idées. Les autres se laisseront guider par ces fictions qui tissent habilement un lien avec la scène libanaise, sujet de « Beyrouth et les Golden Sixties ». Créée pour l’exposition, une installation vidéo de Joana Hadjithomas & Khalil Joreige confronte dès l’entrée le visiteur au souffle dévastateur de l’explosion d’août 2020 dans les salles du Musée Sursock. Difficile de ne pas être bouleversé(e) par le voyage dans le temps qui se déroule ensuite, de l’effervescence artistique de la capitale libanaise des années 1960 au basculement en 1975 dans la guerre civile. Cette très riche reconstitution historique au travers du prisme de l’art – rassemblant plus de 200 œuvres et de nombreux documents d’archives – met en avant des noms aussi familiers que ceux d’Etel Adnan, Simone Fattal, Paul Guiragossian, Mehdi Moutashar…, mais permet également d’en redécouvrir d’autres, comme celui de Fateh al-Moudarres, peintre syrien dont sont présentées deux petites huiles sur bois.
Enfin il faut sortir de Lyon, et du parcours officiel, pour aller au couvent de La Tourette. Lors des éditions précédentes, le couvent dessiné par Le Corbusier était associé au programme principal. Le choix d’étendre largement la Biennale à la ville a semble-t-il abouti au sacrifice de la périphérie. La très belle exposition de Giuseppe Penone que propose la communauté des frères dominicains fait pourtant judicieusement écho à la thématique du vivant et de la fragilité.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°595 du 23 septembre 2022, avec le titre suivant : Du MAC Lyon à La Tourette