L’artiste vietnamien est invité au Quai Branly pour présenter ses tissages de photographies de la guerre du Vietman, offrant une relecture du conflit.
Paris. Dinh Q. Lê a dix ans lorsqu’il fuit avec sa famille le nord du Vietnam après l’invasion des Khmers rouges. Ils passeront un an dans un camp de réfugiés en Thaïlande avant d’obtenir l’asile politique aux États-Unis. C’est lors de sa dernière année à l’université de Santa Barbara qu’il se met à découper en bandelettes des photographies de la guerre du Vietnam et à les natter manuellement pour former une autre photographie. Une manière pour lui de se réapproprier et d’interroger l’écriture visuelle de ce conflit. Depuis, ce procédé d’entrelacs d’images se retrouve dans d’autres séries photographiques, sculptures ou installations intégrant parfois des récits différents de conflits ou d’exodes. Son travail a été très vite reconnu, comme en attestent ses présences à la Biennale de Venise de 2003, au Museum of Modern Art de New York en 2006, à la Documenta de Cassel en 2012 et la grande rétrospective au Mori Art Museum à Tokyo, il y a sept ans.
Le solo show que lui consacre aujourd’hui le Musée du Quai Branly est le premier organisé par un musée européen. Il s’inscrit dans le prolongement des deux œuvres de l’artiste exposées précédemment dans l’exposition « À toi appartient le regard et (...) la liaison infinie entre les choses » proposée en 2020, au même endroit, par Christine Barthe, responsable des collections photographiques de l’institution. L’exposition actuelle offre une vision plus globale de l’œuvre de Ding Q. Lê, largement méconnu en France. Elle fait la part belle aux créations réalisées à partir de cette technique du tressage à laquelle introduit la série « From Vietnam to Hollywood » de 2004 où l’artiste entrelace des photographies emblématiques de la guerre du Vietnam et de films sur ce conflit, d’Apocalypse Now à Indochine. D’une série à une autre, la confrontation des fils narratifs diffère et frappe par leur incroyable présence mais aussi par la texture et la matérialité propres à chacune selon le type de papier de tirage choisi – le tressage pouvant entrecroiser jusqu’à six images aux récits dissonants. Les toutes dernières créations de très grand format, réalisées en 2021 à partir de portraits de victimes du génocide des Khmers rouges et la splendeur passée des temples du site d’Angkor Vat, ont ainsi des faux airs de tapisseries à la beauté hypnotique. Selon d’où on regarde, et selon la partie que l’on contemple, la pièce révèle une figure, un détail passés à première vue inaperçus.
La présentation chronologique est rythmée par des pièces issues des collectes de l’artiste dont Light and Belief composée de dessins, aquarelles ou peintures d’artistes envoyés au front pendant la guerre du Vietnam et d’une vidéo leur donnant la parole quarante ans plus tard. Sauvegarder les traces d’un passé ou d’une histoire individuelle ou familiale que la guerre a fait voler en éclat ou confronter des récits d’un même fait historique forment les deux mouvements de fond de son travail, indissociables d’une autre action de l’artiste que n’oublie pas d’évoquer l’exposition : la création en 2007 d’un centre et d’une école d’art regroupés dans un même bâtiment à Ho Chi Minh-Ville (Saïgon) pour soutenir la jeune création vietnamienne et faire reconnaître des artistes plus confirmés.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°586 du 1 avril 2022, avec le titre suivant : Dinh Q. Lê, tisseur d’histoire