C’est en deux temps que Didier Mencoboni (né en 1959) a pris ses quartiers à la galerie Éric Dupont, à Paris. Un premier «Â Épisode XIÂ » dépourvu de toiles au mur, a été suivi d’un «Â Épisode XIIÂ » donnant à voir des tableaux ovoïdes.
Le fait de proposer successivement deux expositions d’un format complètement différent répond-il à une volonté d’offrir des formes et langages variés ?
C’est ça et autre chose en même temps. Dans mon travail de peintre je m’aventure parfois sur des territoires autres, en tout cas hors du tableau. Je trouvais donc intéressant d’avoir deux volets montrant les deux approches que j’y développe. Ensuite il y a eu une circonstance due au calendrier d’une galerie qui loue son espace pour les fashion weeks. C’est pourquoi j’ai voulu faire deux propositions et non pas une, car démonter une exposition et la remettre en place me gêne. Pour « Épisode XI », j’ai étalé de grands papiers fluorescents au sol et je me suis servi de l’espace comme d’un atelier. C’est la troisième fois que je tente ce type d’expérience qui joue beaucoup sur des réflexions colorées.
Était-ce là comme une matière picturale qui sortait du cadre pour imprégner voire envahir l’espace ?
Oui, le tableau n’est pas une prison mais un cadre, et je travaille dans et hors de ce cadre, ou tout du moins avec. Il y a une sorte de résistance… D’une manière générale, je pense qu’il faut une résistance pour travailler ; si ça ne résiste pas c’est mou, ça fait peu réfléchir et agir. Donc cette question du cadre, qui explique aussi en partie la multiplicité des tableaux, joue beaucoup dans mon travail.
Les tableaux exposés dans « Épisode XII » font partie d’une longue série intitulée « … ETC… ». Ce titre implique une suite, une continuité. Cela répond-il à un désir d’accumulation ?
Il y a toujours une quantité de raisons pour engager un travail, des majeures et des mineures. Au tout début, j’étais assez fasciné par la peinture, précisément parce qu’elle me résistait énormément ; je n’y arrivais pas, je ne savais par quel bout la prendre. J’ai commencé par de toutes petites choses, d’abord des œuvres sur papier, puis des petits tableaux. À un moment donné j’ai senti que cette série m’intéressait et je me suis dit « je vais faire cette peinture toute ma vie, comme un journal, ça va m’accompagner très longtemps et je ferai ce que je veux, un peu comme sur un terrain de jeu très libre ».
J’ai dépassé les 2 400 toiles et le travail s’est complexifié car il raconte quelque chose au-delà de la peinture, quelque chose certainement de ma vie aussi – de manière pudique, je ne raconte pas mon intimité. Pour cette exposition, j’ai laissé la galerie choisir une vingtaine de toiles parmi les deux cents les plus récentes. L’intérêt de multiplier les tableaux, c’est que cela multiplie les possibilités d’expérience. L’ovale est une forme autour de laquelle le regard tourne sans arrêt, alors qu’un carré a des arêtes. Et suivant l’angle d’où on le regarde, il se déforme, puisque latéralement on va voir presque un cercle se former.
Vous gérez également un site Internet (1) sur lequel apparaissent en permanence de nouveaux tableaux…
Il y a très longtemps j’ai pensé à écrire une nouvelle, l’histoire d’un peintre qui réussirait à donner une sexualité à ses tableaux afin qu’ils soient en mesure de se reproduire et de faire des tableaux à sa place. Je ne l’ai jamais écrite, mais j’ai parlé de l’idée à mon fils qui a fait des études d’ingénieur, en lui demandant si on ne pouvait pas faire quelque chose en ce sens, à partir d’images de tableaux. Nous avons scanné les photos de presque toutes les œuvres de cette série et avons obtenu 60 000 fichiers dont 4 000 ont été conservés, qui constituent mon vocabulaire. Ensuite mon fils a écrit un programme qui va associer dans cette base de données entre deux et quatre filtres, ce qui correspond à peu près au nombre de couches que j’appose sur chaque toile. À partir de là, la machine génère en permanence des tableaux qui n’existent pas mais que potentiellement j’aurais pu faire. Le site produit toutes les dix secondes une image qui s’efface à jamais. Ce qui est fascinant, c’est que la machine ne va pas recourir à des questions de « bon » ou de « mauvais ». Il y a donc des choses que je me serais refusées mais que la machine édite, alors que lorsque je suis à l’atelier avec des pinceaux la question du goût est présente en permanence.
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Didier Mencoboni : « Il faut une résistance pour travailler »
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Abonnez-vous dès 1 €Jusqu’au 1er mars, Galerie Éric Dupont, 138, rue du Temple, 75003 Paris, tél. 01 44 54 04 14, www.eric-dupont.com, tlj sauf dimanche-lundi 11h-19h.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°473 du 17 février 2017, avec le titre suivant : Didier Mencoboni : « Il faut une résistance pour travailler »