Plus connue sous le nom d’“Experimenta Design”, la troisième Biennale de design de Lisbonne, qui se déroule jusqu’au 2 novembre, s’est cette année choisi un thème ambitieux, “Au-delà de la consommation”, qu’elle a quelques difficultés à assumer, n’apportant que des réponses par trop singulières. En outre, la Biennale délaisse la scène créative portugaise.
LISBONNE - De quoi avons-nous réellement besoin aujourd’hui ? La Biennale de design de Lisbonne a choisi, comme l’indique le thème de cette 3e édition, de placer le débat “Au-delà de la consommation”.
L’exercice s’annonçait périlleux. Il l’est. Car, au fil de ses multiples expositions et conférences, la manifestation semble avoir quelque peu délaissé le véritable enjeu du design dans la société de consommation de demain, pour se satisfaire de réponses, certes attachantes, mais par trop singulières. C’est le cas, notamment, de l’exposition phare de la Biennale, “Esprits brillants, belles idées” (sic !), qui, au Centre culturel de Belém, rassemble sous la houlette de son commissaire, le designer batave Ed Annink, un insolite quartet de créateurs. D’un côté : deux figures mythiques dont une bicéphale, Bruno Munari (1907-1998) et le couple Ray et Charles Eames (1912-1988 et 1907-1978). De l’autre : le Néerlandais Jurgen Bey (lire le JdA n° 176, 12 septembre 2003) et l’Espagnol Marti Guixé, deux électrons libres âgés respectivement de 38 et 39 ans, honorés et néanmoins étonnés de se retrouver en si glorieuse compagnie. La scénographie est inégale : très réussie et alerte pour les “vivants”, grâce, en particulier, à ces images de leurs travaux projetées en boucle sur d’astucieux écrans en forme de panneaux de signalisation, mais statique et pauvre pour les “morts”, hormis quelques perles, comme ces films inédits de Bruno Munari redécouverts dans les archives du cinéaste Jonas Mekas. Ce qui réunit les quatre personnages ? Leurs attitudes originales. On déambule ainsi entre une intention poétique (Munari), une vision globale (Eames), une approche locale (Bey) et une conception radicale (Guixé). Problème : le thème intimidant de la Biennale les contraint à un rôle de “manifeste” qu’ils n’ont en aucun cas revendiqué. Munari et les Eames parce qu’ils ne sont plus, Bey et Guixé parce leurs démarches, très personnelles, reposent avant tout sur une entière liberté.
L’image du design avant le design
Au premier étage de la Corderie nationale, l’exposition “Expanded” présente, elle, cinq installations à la limite de l’art et du design, dont Ipomea-Lounge de Sebastian Schlunk et Diether Goldschagg (2003), une sphère-refuge baignée d’un jeu savant de lumière et de son, et le tout nouveau et troisième spécimen de la série des “Audiolab”, œuvre de Laurent Massaloux commandée par la Caisse des dépôts et des consignations, à Paris, et baptisée Swinging Sofa : une balancelle dont le dais dissimule un dispositif de diffusion musicale. Se positionner “Au-delà de la consommation” signifierait-il s’exclure du monde de la production pour se rapprocher de celui de l’art ? On s’y perd un peu. Comme si le fait de s’ouvrir à des disciplines voisines du monde du design, credo somme toute réjouissant, avait finit par submerger le reste. À commencer par le design lui-même. Ainsi, lors des conférences, nombre d’intervenants ont soigneusement éludé les vocables (honteux ?) de production, industrie et coût, au profit de termes plus politiquement corrects tels “conscience sociale”, “éthique profonde”, “usage alternatif”, voire “consommation créative”.
Le seul lieu où l’on se frotte franchement à l’industrie est une exposition française : “Design France : Innovation & Inspiration”, déployée au rez-de-chaussée de la Corderie nationale et montée par le VIA, filiale de l’Union nationale des industries françaises de l’ameublement. Paradoxe : à voir la sélection proposée outre le mobilier (paire de roller, vélo, poêle, kayak, voitures Renault…), on se demande si le VIA n’esquive pas allègrement sa mission – la “Valorisation de l’Innovation dans l’Ameublement” –, en vue de briguer le titre envié de meilleur promoteur du design français...
Bref, celui qui vient pour prendre le pouls de la création lusitanienne en sera pour ses frais. Les designers du cru ne sont, en effet, pas spécialement mis en valeur. Quid alors de cette troisième édition ? L’un des vœux des fondateurs de la première Biennale, en 1999, était “de faire venir l’actualité du design au Portugal”. Sur ce plan, c’est un succès, grâce, notamment, à ces deux alléchants cycles de conférences (“1000 Plateaux”) et de films (“Designmatography”), qui se déroulent jusqu’au 2 novembre. Reste que pour le présent opus, “Experimenta Design” s’est aussi sciemment muté en outil de communication, au détriment parfois du sens. L’image du design serait-elle plus fédératrice que le design lui-même ? Le camion-installation Voyager 03, emblème de la Biennale avec à son bord un concentré de la culture portugaise actuelle – design, architecture, vidéo, photographie… –, qui avait, en amont, promu la manifestation à Paris, Barcelone et Madrid, s’est garé, tel un vainqueur, sur la place du Commerce, équivalent de la place de la Concorde, à Paris. Par ailleurs, la CTT Correios, la poste portugaise, a édité trois jeux de quatre timbres “bios” à l’effigie de la manifestation. Plus qu’un outil de communication, le design, à Lisbonne, est devenu un outil de politique pour la ville. Avec à la clé le risque que l’édile lisboète engrange à lui seul les dividendes d’une telle manifestation… au grand dam de ceux pour qui elle a été inventée : les designers portugais.
Jusqu’au 2 novembre, commissariat général : Lounging Space, 175 Avenida da Liberdade, Lisbonne, tél. 351 21 855 09 50. Programme disponible sur Internet : www.expe rimentadesign.pt
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Design de consommation
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°178 du 10 octobre 2003, avec le titre suivant : Design de consommation