Cent-quarante-neuf pièces créées par des "trésors nationaux vivants" japonais sont exposées à Paris, à l’espace Mitsukoshi-Étoile. Si les pays développés se sont dotés d’une législation protégeant leurs trésors nationaux, le Japon est le seul à reconnaître des "trésors nationaux vivants", à vouloir consacrer non seulement l’objet mais l’artiste ou l’artisan qui l’a créé. Belle idée dans un pays très hiérarchisé, où les honneurs pèsent de tout leur poids, mais qui ne s’accompagne pas d’une véritable politique de soutien aux métiers d’art.
PARIS - En 1949, un incendie ravage la salle principale du célèbre temple de Nara, le Horyu-ji. La pièce était ornée de remarquables peintures murales, les plus anciennes au monde à être conservées dans un pavillon en bois. Mais dans un Japon en pleine reconstruction et modernisation, les artisans capables d’exécuter des copies de ces peintures avaient disparu.
Ce constat alarmant provoque un sursaut du gouvernement, qui élabore l’année suivante une nouvelle législation sur la protection du patrimoine. L’originalité est de prendre en compte la conservation des techniques propres aux métiers d’art, présentées dans les textes comme des "biens immatériels", ainsi que celle des arts dits de "nature intangible" : le théâtre, la musique, la danse, les spectacles populaires traditionnels… Cette législation visait également à redorer le blason culturel du Japon, largement terni par le militarisme effréné des années précédentes.
Assurer la transmission des savoirs
En 1954, une révision de cette loi institue un "système de désignation des biens culturels intangibles importants" et permet à l’État d’élever au rang de "détenteur" des hommes incarnant ces biens et possédant une maîtrise accomplie et une connaissance parfaite de leur technique. Ces "détenteurs", appelés aussi familièrement "trésors nationaux vivants", ont alors la charge d’assurer le perfectionnement, la transmission et l’accessibilité au public du bien intangible important.
Leur nomination est décidée par le ministère de l’Éducation nationale – il n’existe pas de ministère de la Culture au Japon – à partir des propositions remises par un collège de spécialistes universitaires, de chercheurs, d’artistes, de conservateurs de musée… Le collège est en particulier consulté sur la nécessité de protéger la technique ou le métier, que l’artiste doit avoir exploité largement et depuis longtemps. Pour cette raison, les "TNV" sont généralement des patriarches, les benjamins approchant la soixantaine.
Une centaine de "détenteurs" a été ainsi désignée dans le domaine des arts décoratifs, dont quatre cette année pour la céramique, la teinture textile, la laque et le travail du bois. Quatre-vingt-quinze d’entre eux – dont 36 vivants auxquels ont été commandées des pièces spécialement pour l’exposition – seront représentés à Mitsukoshi-Etoile, offrant ainsi une vue exhaustive du phénomène.
Pour les heureux élus, la nomination confère une once de respect en plus. Les grands quotidiens japonais annoncent en général largement leur accession au titre, la télévision publique (NHK) y consacre des émissions spéciales. La bourse accordée est en revanche plus modeste, 2 millions de yen par an, soit 110 000 F, ce qui ne permet pas à l’artiste d’en vivre, d’autant plus qu’il s’engage à ouvrir son atelier et à participer à des expositions.
De même, faute de moyens publics, la nomination ne s’accompagne pas d’une politique systématique d’acquisition ou d’exposition. Au moment de la nomination seulement, l’Office public à la culture acquiert une série représentative de la technique protégée. Ces "modèles" rejoignent les musées nationaux de Tokyo ou Kyoto. Enfin cette désignation n’a pas véritablement d’incidence sur la cote de l’artiste.
Si les "trésors nationaux vivants" sont connus au Japon, ils ne le sont pas en dehors de l’archipel, à quelques rares exceptions. Ce sont des créateurs, architectes, designers, stylistes… qui symbolisent la vitalité de la culture japonaise. En ce sens, l’exposition organisée par les grands magasins Mitsukoshi montrera un autre visage de cette culture, celui de la tradition.
Espace Mitsukoshi-Étoile, 3, rue de Tilsitt 75008 Paris, 13 septembre - 29 novembre. Un cycle de conférences doit accompagner l’exposition, renseignements : (1) 44 09 11 11.
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Des "TNV" à Paris
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°6 du 1 septembre 1994, avec le titre suivant : Des "TNV" à Paris