Le Musée du quai Branly a fait le choix d’une belle exposition ethnographique sur la région du Sepik, en laissant de côté la création contemporaine de sociétés pourtant encore très vivantes.
PARIS - En introduction de l’exposition « Sepik. Arts de Papouasie-Nouvelle-Guinée » est projetée une séquence vidéo où apparaît une pirogue glissant sur le Sepik. Ce fleuve mythique pour des générations d’anthropologues traverse la vallée du nord de la Papouasie-Nouvelle-Guinée sur 1 200 km.
Il s’agit d’un extrait du documentaire tourné par Daniel Vigne en 2013 Papous, entre deux mondes qui suit deux hommes pris entre traditions ancestrales et modernité. Puis l’on quitte le Sepik contemporain pour entrer dans le vif du sujet. Le parcours est conçu comme la traversée d’un village fictif qui rassemblerait la diversité des productions des multiples groupes sociétaux qui vivent aux abords du fleuve. Ici point de modernité. Les 260 objets de qualité sont datés de leur période de collecte, soit des expéditions menées entre 1908 et 1913 ; comme cette impressionnante figure d’ancêtre féminine qui surplombait l’entrée de la Maison des hommes, puis celles des années 1960 et 1970. Dans les dernières expositions consacrées à l’Océanie, le Musée du quai Branly nous avait habitués à présenter aussi la création actuelle de cultures toujours vivantes. Sans remonter jusqu’aux Maoris en 2011, « Kanak, l’art est une parole » en 2013, traçait une histoire des luttes identitaires des populations de Nouvelle-Calédonie. Un an auparavant, on découvrait la peinture contemporaine aborigène sur les cimaises de la galerie Jardin. Avec la Papouasie-Nouvelle-Guinée, c’est un retour à une exposition ethnographique plus traditionnelle. C’est que « dans ces sociétés de Nouvelle-Guinée, les situations sont très diverses, explique Philippe Peltier, un des co-commissaires de l’exposition. Nous ne sommes pas dans le cas des Aborigènes qui vivent dans un pays indépendant. Certains groupes ont perpétué les initiations, d’autres ont été entièrement convertis à l’évangélisme. Là, aucune production n’a survécu. Ailleurs, il y a le problème de l’exploitation minière. Mais il y a aussi de l’art contemporain. »
Systèmes traditionnels
La région du Sepik est une mosaïque culturelle qui compte pas moins de 90 langues et la Papouasie-Nouvelle-Guinée, devenue un État indépendant en 1975, reste membre du Commonwealth avec pour chef d’État la reine d’Angleterre. Nous sommes loin d’une nation unifiée. À cela s’ajoutent les luttes papoues, moins connues que celles des Kanaks portées par des figures politiques, donc moins entendues à l’international. « C’est un parti pris. Pour cette exposition, nous avons décidé de rendre compte de nos recherches et nous n’avons pas travaillé sur la société contemporaine. Nos études sont basées sur les systèmes traditionnels tels qu’ils fonctionnaient dans les années 1970 et 1980. Et je ne crois pas vraiment à l’appendice sur la modernité à la fin du parcours, comme un acte de bonne conscience. »
Dont acte. L’exposition est un état de la recherche, une photographie de ces cultures prises au milieu du XXe siècle. De ce point de vue, c’est une réussite de la part des trois commissaires qui rendent lisible cet ensemble de cultures disparates, hétérogènes dans leurs rites et leurs œuvres, mais homogènes dans l’esprit qui les anime. Deux traits culturels communs servent de fil conducteur : le réseau d’échanges via le fleuve et la figure dominante des ancêtres, dans l’espace des femmes et au moment des rites initiatiques ou des récoltes, comme le montre la suite du parcours. « Au gré de leur déplacement, figures, objets et motifs liés aux esprits ancêtres peuvent changer de nom et de sens », précise le catalogue. L’accent est mis sur la variété et l’inventivité des formes des œuvres – des figures d’ancêtres et les instruments et masques qui leur sont liés – inhérentes à leur nature protéiforme et rendues visibles grâce au jeu de transparence des vitrines.
Ainsi la sombre sculpture masculine coiffée de cheveux humains ne semble rien avoir en commun avec sa voisine, mi-humaine mi-animale aux membres fins et peinte de motifs. Pourtant les deux proviennent du Bas Sepik. Certaines ont été représentées de manière saisissante pour provoquer l’effroi et sont à dessein placés légèrement en hauteur pour accentuer cet effet. D’autres combinent des motifs imbriqués et déroutent le regard comme sur la dernière pièce de l’exposition, une spatule à chaux sur laquelle on devine, enchevêtrés, un homme, un lézard, un oiseau et un insecte. Ce chef-d’œuvre de l’art Sepik a été collecté par Félix Speiser en 1930. En face de lui, à nouveau le fleuve et ses pirogues car le parcours se termine comme il a commencé, sur une courte séquence vidéo du Sepik contemporain, extraite du même documentaire (à voir sur www.arte.fr jusqu’au 11 décembre). Pourquoi ne pas avoir prolongé le voyage chez les héritiers de ces sociétés ? Les appendices sur la modernité à travers ce film ainsi que des photographies du Festival des arts mélanésiens prises en 2014 appellent à d’autres développements.
Nombre d’œuvres : 230
Commissariat général : Philippe Peltier, Markus Schindlbeck et Christian Kaufmann
Scénographie : Didier Blin
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Des Papous figés dans le temps
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Abonnez-vous dès 1 €Jusqu’au 31 janvier 2016, Musée du quai Branly, 37, quai Branly, 75007 Paris, mardi-mercredi-dimanche 11h-19h, jeudi-vendredi-samedi 11h-21h, entrée 9 €, www.quaibranly.fr, catalogue 352 p., 45 €.
Légende photo
Bouchon de flûte, attribué au groupe linguistique biwat, acquis en 1976, bois, fibres, plumes de casoar, dents, cauris, nassa, écaille de tortue,pigments blanc et ocre rouge, 73 x 50 x 30 cm, Museum der Kulturen, Bâle. © Photo : Hughes Dubois.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°446 du 27 novembre 2015, avec le titre suivant : Des Papous figés dans le temps