PARIS
À la Maison de l’Amérique latine, quinze artistes de tous horizons se réapproprient la symbolique de l’image du roman argentin « L’Invention de Morel », soulignant ainsi l’influence de cette œuvre d’anticipation.
Paris. En s’emparant de L’invention de Morel, le roman que publie en 1940 Adolpho Bioy Casarès (1914-1999), le commissaire et universitaire Thierry Dufrêne savait qu’il tenait en main un scénario d’exposition puissant pour la Maison de l’Amérique latine. Le récit de l’écrivain argentin est construit autour d’un dispositif d’imagerie qui, en son temps, tient d’une rêverie d’anticipation très marquante. Rêverie qui, depuis lors, est devenue un territoire de possibles pour les artistes, en particulier pour ceux qui se sont saisis des moyens technologiques mis au service de la démultiplication et de la dimension hallucinatoire des modes d’apparition de l’image.
Pertinemment choisis, les artistes, en solo ou en duo, font écho de manière plus ou moins directe au récit fantastique, en se gardant pour la plupart d’un rapport d’illustration ou de paraphrase. Pour Jean-Pierre Mourey, il s’agit d’une adaptation en bande dessinée, très fidèle à l’esprit de Bioy Casarès. Jean-Louis Couturier, lui, a réalisé des planches directement inspirées des séquences du roman relu à travers le filtre des interprétations littéraires, en particulier par la notion portée par Michel Carrouges de machines célibataires, dans le livre éponyme qui proposait une lecture mécanico-symbolique d’une série d’œuvres fin XIX-début XXe comprenant l’Eve Future de Villiers de l’Isle-Adam et le Grand Verre de Marcel Duchamp. Les autres contributions trouvent leur place dans les salles de l’hôtel particulier qui abrite la Maison de l’Amérique latine, formant un parcours où s’inscrivent les œuvres dans un confinement relatif qui leur assure leur autonomie. Cheminement qui fait écho à celui du héros du livre, errant à travers des architectures fantômes avec des œuvres qui tiennent du dispositif et interrogent à leur tour la virtualité de l’image. Si Pierrick Sorin se met en scène dans son petit théâtre d’illusions en évocation directe du récit, Piotr Kowalski montre la machinerie là ou Masaki Fujihata la fait disparaître dans une interaction saisissante avec le visiteur. Rafael Lozano-Hemmer transforme le spectateur en spectre quand Luc Courchesne le fait dialoguer avec un être technologique. Sliders-Lab fait éclater la machine cinéma dans le temps et l’espace quand Stéphanie Solinas et Nicolas Darrot apportent leur dossier d’enquête qui fouille dans le futur et dans le passé de l’imaginaire.
L’exposition est accompagnée d’un catalogue publié aux éditions Xavier Barral, sous forme d’une reprise de l’édition française du roman, annotée et augmentée de pages insérées dans les passages de référence pour les artistes ou le commissaire, comme autant de points de contact entre le roman et les œuvres. Le rapport intime et fin que l’exposition propose dans l’œuvre se retrouve pleinement dans cette édition.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°500 du 27 avril 2018, avec le titre suivant : Des images passées à la machine