À Paris, l’exposition consacrée par le Centre national de la photographie à Straub et Huillet, ne parvient pas à rendre compte d’une œuvre cinématographique bâtie sur et dans la durée. Présentés simultanément, les travaux de Joachim Koester prouvent pourtant la fécondité des glissements entre image fixe et animée, document et fiction.
PARIS - À l’image des genres cinématographiques (“film gore”, “drame social”...), le documentaire revêt-il une forme particulière selon le sujet qu’il aborde ? Avec l’attention qu’elle porte aux réactions du public, et la sensation d’attente d’un événement qui en émane, Pit Music, la vidéo réalisée en 1996 par Joachim Koester pour la Documenta X, démontre en tout cas merveilleusement l’existence du genre “document de performance artistique”. Mais, en multipliant les plans autour d’un quatuor interprétant la Symphonie n°8 110 en ut mineur de Chostakovitch, le Danois crée aussi une fiction sous-jacente, prête à bondir à chaque ralenti photogénique. Un double jeu d’autant plus complexe que le vidéaste mêle ces effets à la mise en situation physique du spectateur, placé sur une estrade, comme surplombant une fosse à orchestre. De fait, le Danois, peu présent en France, profite de l’invitation du Centre national de la photographie pour placer le visiteur au-dessus de l’image, du moins un degré au-dessus de son sens premier.
Ainsi, Day for Night, Christiania (1996) plonge le quartier éponyme de Copenhague dans une pénombre toute magritienne, où ruelles désertes, maisons abandonnées, et fresques psychédéliques de l’îlot d’utopie, établi en communauté autogérée au début des années 1970, sont passées sous un filtre bleu. Recourant à la convention de la “nuit américaine”, la série, présentée sous forme de tirages photographiques et d’un diaporama, regarde évidemment vers le cinéma, forme plus adaptée à la narration. La frontière est encore plus ténue dans Nordenskiöld and the Ice Cap (2000), longue suite en fondus enchaînés, où le récit d’une expédition prend la forme d’un intertitre incrusté dans un paysage enneigé, étalé dans une durée tout aussi glacée.
La durée est justement un des éléments confisqués aux films de Jean-Marie Straub et Danièle Huillet pour permettre leur exposition dans les salles suivantes. D’abord montrée à l’École supérieure des beaux-arts du Mans, l’exposition initiée par Dominique Païni, alors directeur de la Cinémathèque, ne profite pas du voisinage avec le travail de Joachim Koester. Là où le vidéaste se plaît à jouer avec un “hors-champ” impalpable, le travail des cinéastes est lui montré par les photogrammes, le versant le plus concret du film, son “ontologie matérielle”, pour dramatiser : des morceaux de pellicules sont exposés dans des caissons lumineux, alors que les images qui les composent se déclinent sur des tirages luxueux montés sur aluminium. L’effet est parfois spectaculaire, à l’image d’un triptyque isolé dans Moïse et Aaron ou un cheminement extrait de La Mort d’Empédocle. Mais, si des Films stills de Cindy Sherman aux images d’Éric Rondepierre, nombre d’artistes travaillent autour d’une idée comparable, l’œuvre entamée par Jean-Marie Straub et Danièle Huillet ne profite pas de l’expérience. Arrêtées, les images démontrent aisément la maîtrise de la composition par le couple, attelé depuis près de quarante ans à la recherche d’une forme de récit reflétant leur pensée militante. Mais elles renvoient inlassablement au vrai film, celui qui dure, comme les 100 minutes du révolutionnaire Trop tôt, trop tard, diffusé tous les jours à 17 heures. “L’exposition de l’art cinématographique est avant tout la projection de films...” , explique Dominique Païni dans sa note d’intentions. Il aurait peut-être été sage d’en rester là.
- JEAN-MARIE STRAUB ET DANIÈLE HUILLET, DES FILMS ET LEURS SITES ; JOACHIM KOESTER, jusqu’au 14 mai, et aussi ZWELETHU MTHETHWA, jusqu’au 3 avril, Centre national de la photographie, 11 rue Berryer, 75008 Paris, tlj sauf mardi, 12h-19h, catalogue éd. Cinémathèque française, 148 p., 169 F.
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Des images en quête de récits
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°123 du 16 mars 2001, avec le titre suivant : Des images en quête de récits