PARIS
Sur un sujet mal connu du grand public, l’art des Hittites et des Araméens, le Louvre choisit de fasciner le visiteur par le monumental plutôt que de s’adresser à sa sensibilité.
Paris. Qui connaît les Hittites mis à part les spécialistes du Proche-Orient ancien ? Cet empire indo-européen a dominé l’Anatolie et le Levant (XIVe et XIIIe siècles avant J.-C.) et a concurrencé l’Égypte des pharaons avant de laisser la place à de petits royaumes néo-hittites et néo-araméens à partir du XIIe siècle. De ces royaumes il reste peu de vestiges, comme le reconnaît Vincent Blanchard, commissaire de l’exposition et conservateur au Louvre : « Le public a peu, voire pas de références visuelles sur ces royaumes mal connus, dont les vestiges sont peu nombreux puisque les bâtiments étaient construits en briques crues. »
C’est donc autour de ce peu qui subsiste que se construit l’exposition, à savoir la sculpture monumentale en pierre : placées le plus souvent au centre des salles, des statues imposantes en basalte ou en calcaire dominent les visiteurs comme des gardiens du temple. Car c’est bien un sanctuaire pour l’art monumental que la scénographie reconstitue, bien que le commissaire affirme avoir voulu « donner une impression de grandeur comme dans un palais avec une allée processionnelle et un portail sculpté ». Sanctuaire plus que palais, car les visiteurs circulent dans une semi-pénombre due à un éclairage qui met en valeur les reliefs des sculptures, mais laisse dans l’ombre les murs et les hauts plafonds des salles. Ces murs et plafonds arborent des tons gris foncé et ocre qui répondent aux coloris du basalte et du calcaire peint en rouge des sculptures : tout est donc pensé pour ces pièces, présentées sur des socles sans vitrine.
Si les cartels, les textes de salle, de petits objets et une chronologie permettent de restituer le contexte général, les visiteurs ne saisiront sans doute pas l’évolution de la sculpture hittite et araméenne au fil de l’exposition. Et pour cause, comme l’indique Vincent Blanchard, « les royaumes araméens se sont approprié les cultures voisines par l’art monumental, et ils ne possédaient pas de style propre ». Griffons, lions et dieux menaçants se ressemblent donc beaucoup d’une salle à l’autre, au risque de lasser le public. Il n’est pas certain que celui-ci soit sensible à la « fascination » exercée par cette sculpture, ni qu’il s’émerveille devant « sa majesté grave et primitive » comme le souhaite le commissaire. Une étrangeté exotique domine l’ensemble.
L’aspect exceptionnel des prêts consentis par plusieurs grands musées (British Museum à Londres, Metropolitan Museum of Art à New York, Staatliche Museen de Berlin) ne prend d’ailleurs une signification que dans la mesure où ces sculptures et stèles n’ont jamais été montrées ensemble depuis leur découverte au début du XXe siècle. Car la « gravité » de cet art monumental écrase les autres dimensions de l’exposition, et frise l’austérité. Ainsi des orthostates du palais de Bît Bahiani (royaume araméen du Xe siècle) : ces stèles placées verticalement à la base des murs de briques crues servaient de protection contre les inondations. Malgré la diversité de leurs motifs (animaux, végétaux, dieux, scènes de la vie quotidienne), l’alignement d’une vingtaine d’orthostates se révèle ici assez répétitif pour le visiteur néophyte, qui ne mesure pas nécessairement le privilège de pouvoir les voir.
Pour animer un peu sa visite, le visiteur peut visionner un documentaire vidéo sur le découvreur du site syrien de Tell Halaf, Max von Oppenheim, qui apporte des informations intéressantes. Ainsi, après avoir rapporté à Berlin une partie des sculptures, von Oppenheim fait construire un petit musée privé destiné à les exposer à partir de 1930. En 1943, une bombe au phosphore larguée par les Alliés met le feu au musée et, sous l’effet conjugué du feu et de l’eau versée par les pompiers, les statues de basalte explosent. À partir des 27 000 fragments récupérés, des restaurateurs allemands ont reconstitué plusieurs des statues présentes dans l’exposition : leur surface irrégulière frappe les esprits.
D’autres éléments permettent aux visiteurs d’échapper à l’emprise des sculptures monumentales, comme la figure du scribe présente à divers endroits de l’exposition : textes officiels, gravures sur pierre et matériel d’écriture évoquent en filigrane le rôle de ces hommes qui maîtrisaient plusieurs langues et plusieurs systèmes d’écriture alors en usage au Proche-Orient. Mais c’est sans doute la vitrine des ivoires sculptés, dans la dernière salle, qui offre la plus belle preuve de raffinement et de sensibilité : ces plaquettes syriennes finement incisées (900 avant J.-C.) attirent le regard par leur blancheur tout en contraste avec le gris de deux taureaux néo-assyriens massifs placés à quelques mètres.
Le public de non-initiés appréciera certainement l’intervention de médiateurs à même d’insuffler un peu de vie entre les sculptures, afin que la fascination pour l’étrangeté se double d’un émerveillement sensible.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°524 du 24 mai 2019, avec le titre suivant : Des hittites un peu trop imposants