Après Essen et Vienne, le Musée royal des Beaux-Arts d’Anvers rend hommage aux fils de Pieter Bruegel l’Ancien et met de l’ordre dans cette dynastie de peintres anversois aux profils mêlés et aux orthographes multiples.
ANVERS (de notre correspondant) - Dans l’ombre de Pieter Bruegel l’Ancien se succède une multitude de Breughel et de Brueghel qui apparaît de Velours, de Fleurs, d’Enfer ou de Paradis. Au sein de cette dynastie, active en Flandre et en Italie jusqu’au XVIIIe siècle, les projecteurs se braquent aujourd’hui sur les deux fils de Pieter Bruegel pour approfondir le rapport au père et circonscrire deux personnalités encore mal connues.
L’exposition s’ouvre sur une vingtaine de gravures de Bruegel l’Ancien, venues du Cabinet des estampes d’Anvers. À ceux qui regretteront l’absence – légitime pour des raisons de conservation – des chefs-d’œuvre du Kunsthistorisches Museum de Vienne, les organisateurs opposent un souci bienvenu d’adhérer au plus près à la réalité historique. La présence de ces gravures rend compte d’une situation qui, au XVIe siècle, frappait déjà Anvers : le succès de Bruegel avait été à ce point important qu’aucun de ses chefs-d’œuvre n’y était visible à sa mort, survenue en 1569. Pour Pieter Breughel le Jeune, dit d’Enfer (v. 1564-1637 ou 1638), et Jan Brueghel l’Ancien, dit de Velours (1568-1625), la référence au père – qu’ils n’ont pour ainsi dire pas connu – passe donc autant par les gravures que par des tableaux que l’Europe entière s’arrache.
Divisée en trois parties, l’exposition d’Anvers, plus aérée qu’à Vienne et mieux structurée qu’à Essen, s’attache d’abord à cette relation au père. Après les gravures qui définissent l’archétype pour des séries comme les Saisons, les Proverbes ou les vues de kermesse, la manifestation met en scène l’exploitation de ces modèles par les deux frères. La démonstration repose sur des mises en parallèle qui offrent au connaisseur la possibilité d’aller plus avant dans la confrontation et dans l’exercice, souvent périlleux, de l’attribution. Le visiteur retrouvera, quant à lui, l’univers de Bruegel l’Ancien, qui sert de source d’inspiration exclusive, comme si les fils s’étaient donné pour mission de répéter un imaginaire qui perdurera de copie en copie : L’Adoration des Mages, la Danse de la mariée ou le Portement de Croix apparaissent démultipliés, tantôt sans la moindre variante, tantôt transformés en d’infimes détails.
Une industrie de la copie
Artistes sous influence, les deux frères ont néanmoins une personnalité qui s’exprime à l’intérieur de cette “industrie de la copie” sur laquelle se fonde la dynastie. La section consacrée à Pieter Breughel le Jeune témoigne de cette personnalité écartelée entre la demande sans cesse croissante pour des œuvres inspirées de son père et une recherche propre qui vient s’immiscer dans ce perpétuel travail de référence. L’exposition d’Anvers s’est étoffée par rapport à ses deux premières étapes : le cycle des Saisons a été complété et est présenté dans son intégralité ; la série des Proverbes flamands a elle aussi été enrichie. On retrouve ainsi l’univers de Bruegel, avec ses significations chiffrées et ses codes iconographiques faussement simples. Plus anecdotique, Pieter Breughel le Jeune n’en est pas moins un assembleur étonnant. Le choix de regrouper les œuvres selon leur thématique permet de mieux s’en rendre compte, comme pour ces Pèlerins d’Emmaüs dont la composition reprend la structure d’une scène de kermesse pour ne varier que par le sujet et les détails.
Ce travail “sérialisé” obéit à une logique commerciale qu’on pourrait qualifier d’industrielle. La section consacrée à Jan Brueghel l’Ancien montre une évolution tant dans la recherche que dans la personnalité. Avec lui, l’expérience italienne ouvre de nouveaux horizons. Une sélection de paysages réalisés avant 1600 et une série impressionnante de tableaux de fleurs illustrent de cette finesse d’exécution qui lui vaudra le surnom de “Velours”. Au travail d’après nature répondent les codifications de la composition et du discours allégorique. L’exposition se referme ainsi sur une œuvre qui, tout en s’émancipant de l’imaginaire du père, n’en conserve pas moins cette fabuleuse capacité de mise en scène qui fait du moindre détail un récit.
PIETER BREUGHEL LE JEUNE ET JAN BRUEGHEL L’ANCIEN. UNE FAMILLE DE PEINTRES FLAMANDS VERS 1600, jusqu’au 26 juillet, Musée royal des Beaux-Arts, Plaatsnijdersstraat 2, Anvers. tél. 32 3 238 78 09., tlj sauf lundi et jf 10h-17h, mercredi 10h-21h. Catalogue 480 p., 1 200 FB (broché), 1 900 FB (relié).
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D’Enfer à de Velours
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°61 du 22 mai 1998, avec le titre suivant : D’Enfer à de Velours