Demain, les ingénieurs

Les ingénieurs-constructeurs célébrés au Centre Pompidou

Le Journal des Arts

Le 29 août 1997 - 643 mots

Jusqu’à sa fermeture partielle pour travaux de restructuration, le Centre Georges Pompidou propose une exposition remarquable retraçant, à travers l’art des ingénieurs, deux siècles de génie constructif. Tant par la qualité de sa présentation, l’ampleur du champ couvert que par la portée philosophique sous-jacente de son contenu, cette manifestation marquera une date dans l’histoire du Centre, prélude à une entrée en bon ordre dans le troisième millénaire.

PARIS. Rarement exposition n’aura fait ressortir si nettement l’utilité d’une action culturelle, dès lors qu’elle ne se contente pas d’entretenir le spectacle de la culture mais nous éclaire sur elle en profondeur et de façon pertinente. Se déroulant sur près de 4 000 m2, elle frappe autant par ses dimensions et la richesse des matériaux exhumés que par son souci d’exactitude didactique. En quatre temps bien distincts – le fer, le béton, les structures légères, les recherches contemporaines –, le visiteur est invité à la découverte d’une histoire qui s’est révélée à l’intersection complexe de la science, des “lois” de la matière et des besoins grandissants de la civilisation industrielle. Son mérite est d’avoir su restituer cette complexité avec autant de clarté que d’impact. Outre les très nombreux dessins et maquettes de grandes dimensions, des films et diaporamas projetés sur les murs nous permettent de pénétrer à l’intérieur de ces grands ouvrages et de prendre la mesure de l’exploit qu’a pu constituer leur mise en œuvre. Comment, en effet, ne pas être impressionné devant des constructions aussi monumentales que le Golden Gate Bridge de San Francisco, conçu entre 1933 et 1937 par les ingénieurs Joseph B. Strauss et Charles Ellis, la galerie des machines de l’Exposition universelle de 1889, des ingénieurs Édouard Alphand et Victor Contamin, la résille arachnéenne de la tour de Moscou, réalisée entre 1919 et 1921 par l’ingénieur Vladimir G. Choukhov, ou le dôme géodésique de Buckminster Fuller, qui signale de son élégante légèreté l’entrée dans la partie centrale de l’exposition.

Les métiers se diversifient
La période contemporaine fait clairement apparaître que les ingénieurs ne sont pas seulement de savants calculateurs, obsédés par une conception étroite de la performance, mais qu’ils sont porteurs d’un art singulier dont le privilège est d’agir concrètement sur le réel. Les métiers se diversifient. À la conception de la structure, s’ajoute aujourd’hui l’ingénierie climatique, acoustique, la maîtrise de l’organisation de chantiers devenus infiniment complexe, la maîtrise de l’environnement... Corollairement, entre ingénierie pure, architecture ou "paysage", les frontières s’estompent, dessinant progressivement la maîtrise globale de l’aménagement du territoire, ainsi que le prophétisait l’ingénieur (et philosophe) Ove Arup, créateur d’un des plus célèbres bureaux d’études contemporains : "La bataille de l’homme avec la nature a été gagnée. Qu’on le veuille ou non, nous sommes maintenant chargés de l’administration du territoire conquis. Les réserves naturelles, les paysages naturels et urbains : ils seront tous détruits sans motifs, jusqu’à la ruine ultime de l’homme, ou devront être délibérément planifiés pour servir ses besoins. Tout ce qui est fait pour l’homme doit être dessiné.". Telle est bien la pertinence de cette exposition, de ne pas s’être contentée d’exposer ces ouvrages sans nous inviter également à comprendre ce qu’ils nous disent d’une certaine conception de la culture, moins idéologique que pragmatique, moins abusivement prophétique que réellement inventive. Agissant directement sur la réalité, les créations des ingénieurs – mais également, celles des architectes ou des paysa­gistes – démontrent qu’un "art" est possible en dehors du champ clos de la seule représentation. En ce sens, celui-ci indiquerait bien le chemin d’une issue à la crise de l’art contemporain butant, souvent de façon morbide, sur la question de son utilité.

L’ART DE L’INGÉNIEUR, CONSTRUCTEUR, ENTREPRENEUR, INVENTEUR, jusqu’au 29 septembre, Centre Georges Pompidou, Forum, mezzanines Nord et Sud, tlj sf mardi 12h-22h, samedi et dimanche 10h-22h. Catalogue sous forme de dictionnaire sous la direction d’Antoine Picon. 600 p., 700 ill., coédition Centre Georges Pompidou et Le Moniteur, 490 F.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°42 du 29 août 1997, avec le titre suivant : Demain, les ingénieurs

Tous les articles dans Expositions

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque