La Staatliche Kunsthalle de Karlsruhe livre une analyse passionnante de la manière dont Edgar Degas s’est approprié l’art des maîtres anciens.
Karlsruhe (Allemagne) - Quel stéréotype plus galvaudé que l’expression qui situe un artiste « entre tradition et modernité » ? La Staatliche Kunsthalle de Karlsruhe s’est pourtant engagée dans cette voie pour s’intéresser au cas d’Edgar Degas, figure atypique et isolée du groupe des impressionnistes. De Michel-Ange à Picasso, en passant par Vélasquez, Rodin ou Poussin, tous les plus grands ont observé les anciens, les ont digérés pour offrir une manière qui, à leur époque, était nouvelle. La quête de la ligne parfaite menée par Degas, admirateur fervent de la maniera classica de Raphaël revisitée par Jean Auguste Dominique Ingres, est bien connue. Pourtant jamais une exposition n’avait examiné aussi intensément la constance du regard porté par le peintre sur l’art du passé. « Degas. Classicisme et expérimentation » souligne à juste titre que l’artiste n’a eu de cesse de copier les maîtres anciens jusqu’à la fin de sa vie, tout en innovant sur le plan plastique en lorgnant, par exemple, du côté de la photographie. Par le biais d’une sélection réduite mais ciblée, qui met en avant les collections du musée, l’exposition allemande livre une analyse maîtrisée, aussi réjouissante que passionnante.
À l’école des grands maîtres
Les fresques du Parthénon pour étudier les silhouettes de chevaux (Chevaux de course dans un paysage, 1894), les gravures de Rembrandt pour guider ses propres expériences sur une feuille de zinc (Autoportrait, 1857), les doux visages de la Renaissance pour affiner le portrait de ses contemporains (Edmondo et Thérèse Morbilli, 1865)… Les confrontations égrenées par le parcours thématique (portraits, gravures, paysages, tableaux d’histoire…) lèvent le voile sur un Degas puisant sa force dans l’histoire de l’art pour mieux se lancer dans l’aventure moderne. S’il est associé au groupe impressionniste pour avoir exposé à leurs côtés chez Nadar en 1874, le peintre n’a jamais renié la tradition. Ses jeunes années passées à sillonner l’Italie, hors du circuit académique de la Villa Médicis à Rome, dessinaient déjà un artiste prompt à l’isolement, aux recherches solitaires. Lorsque son ami le critique d’art Edmond Duranty plaide pour que les nouveaux peintres inscrivent la contemporanéité dans leur œuvre, Degas répond avec des portraits de la vie moderne, à l’exemple d’une repasseuse dont émane, pour le commissaire de l’exposition Alexander Eiling, la même grâce qu’un modèle de la Renaissance. Grâce à un accrochage impeccable, les liens entre œuvres guidées par les anciens et celles où l’artiste s’affirme apparaissent au grand jour – ainsi du parallèle entre les expressions corporelles de l’étude des Jeunes spartiates provoquant des garçons (v.1860) et de La répétition de chant (v.1872-1873). Dès l’instant où Degas prend de l’assurance, les propositions radicales s’enchaînent : des cadrages inhabituels, des paysages (pré)surréalistes, des détails déroutants – comme ce poteau qui scinde en deux le somptueux Jockeys avant la course (1878-1879). Ce prêt de Birmingham est l’occasion de signaler la générosité des prêteurs, garante d’une sélection de haute tenue : Un bureau de coton à la Nouvelle-Orléans (1873, Musée des beaux-arts de Pau), Portrait de l’artiste (Degas saluant) (1863, Fondation Calouste Gulbenkian), Les sœurs Belleli (1865-1866, Los Angeles County Museum of Art). Tant de choses ont été dites sur l’habitude de Degas d’imposer aux corps nus des poses incongrues – une manière comme une autre d’explorer les lignes de la chair. Les recherches menées dans les dessins de jeunesse de Degas ont conduit Alexander Eiling à faire un rapprochement des plus intéressants entre plusieurs pastels des années 1890 et 1900 figurant des femmes sortant d’un tub et une feuille de la Kunsthalle de Brême copiant des figures de dos, nues et contorsionnées du Jugement dernier de Michel-Ange (chapelle Sixtine). Pour ce traitement exacerbé des corps, Degas traîne derrière lui une fâcheuse étiquette de misogyne tandis que son aîné italien est célébré pour sa maîtrise de l’anatomie. Cherchez l’erreur…
Commissaire : Alexander Eiling, conservateur des collections d’art moderne et contemporain du musée
Collaborateurs scientifiques : Sonja Maria Krämer et Nina Trauth
Nombre d’œuvres : 130
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Degas, ses racines et ses ailes
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Degas. Classicisme et expérimentation, jusqu’au 15 février 2015, Staatliche Kunsthalle Karlsruhe, Hans-Thomas-Strae 2-6, Karlsruhe (Allemagne), tél. 49 721 926 3359, www.kunsthalle-karlsruhe.de, tlj sauf lundi, les 24 et 31 décembre, 10h19h, 10h-21h le jeudi, entrée 6 €, catalogue, coédité par le musée et Hirmer Verlag (Munich), disponible en allemand avec un livret résumant les textes en français, 300 p., 39 €.
Légende Photo :
Edgar Degas, Jockeys avant la course, vers 1878-1879, The Barber Institute of Fine Arts, Birmingham. © The Barber Institute of Fine Arts, University of Birmingham.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°426 du 2 janvier 2015, avec le titre suivant : Degas, ses racines et ses ailes