La scène artistique indienne change rapidement, constate Deepak Ananth, l’un des trois commissaires. C’est pourquoi il
aspire à une seule et unique manifestation de ce type.
Pourquoi organiser maintenant une exposition sur la scène contemporaine indienne ?
Mieux vaut tard que jamais ! Cette exposition vient après la découverte de la scène asiatique, de la scène chinoise surtout mais je crois que l’Asie du Sud-Est et de l’Est restent encore à explorer. C’est un concours de circonstances.
Comment cette exposition a-t-elle vu le jour ?
Cette exposition a germé il y a trois ans, il a fallu tout ce temps pour préparer la manifestation. On s’est rendu en Inde avec Jany Lauga et Henry Claude-Cousseau, directeur de l’école, à trois reprises pour rendre visite aux artistes. Il nous semblait important pour une première manifestation de ce genre et surtout à l’École des beaux-arts de montrer quelque chose vraiment d’actualité et surtout une génération plus jeune. Il est toujours intéressant d’explorer la modernité ou le modernisme en Inde à partir de l’indépendance du pays en 1947 ou juste avant, mais c’est une autre proposition.
De quand date l’art contemporain ?
S’il existe un profil de l’art contemporain indien, il se dessinerait surtout à partir du milieu des années 1980 et dans les années 1990. Cette génération a sûrement bénéficié des chemins balisés par leurs prédécesseurs pour mieux s’affirmer comme des artistes qui n’ont plus de complexes vis-à-vis de l’Occident et qui entretiennent autant de contact avec les artistes asiatiques qu’occidentaux.
Quelles seraient les lignes de force de cette scène indienne ?
Beaucoup d’humour et d’ironie critique, d’analyse de la société indienne mais pas seulement. Il y a un aspect ludique même si de nombreux d’artistes sont loin d’être indifférents à la situation actuelle en Inde. Pour l’instant, il y a un gouvernement de coalition qui fut précédé par un gouvernement plutôt à droite, à l’extrême-droite même. Certains artistes ont intégré ces problèmes de société, la laïcité de l’État, les droits civiques, les émeutes. Les œuvres n’illustrent pas littéralement de tels propos mais souvent elles les évoquent. L’ironie est présente lorsque les artistes déjouent les conventions ou les stéréotypes du cinéma de Bollywood, mais c’est vrai que dans le choix que nous avons fait, il y a peut-être un peu plus d’œuvres sombres ou mélancoliques.
Il y a des choses qu’on ne trouve pas en Inde ? L’art numérique ?
L’art numérique commence à s’implanter en Inde. Après tout la ville de Bangalore est la nouvelle Silicon Valley ! En fait, tous les médiums sont adoptés, et les registres sont nombreux. L’idée était donc de montrer une gamme de notre production actuelle, presque un panorama.
Comment s’est passée la recherche des artistes ?
On a l’exemple de la ville de Baroda dans l’état du Gujarat qui a une célèbre école d’art intégrée à l’université, beaucoup d’artistes sont issus de cette école. Nous nous sommes également rendus dans les grandes métropoles, New-Delhi, Bombay et Bangalore principalement. Tout se passe dans les villes.
Quels sont les relais pour les artistes en Inde ?
Dans ces trois villes il y a des galeries privées, il y a quand même une activité artistique qui se développe. Il n’y a pas vraiment de centres d’art dans le sens français du terme. Surtout il y a un
engouement pour l’art contemporain de la part de cette bourgeoisie qui découvre et voit l’art comme un investissement. Qui dit acheteur, dit galeries. Il y a à peu près dix ans, les grandes maisons de ventes comme Christie’s ou Sotheby’s ont commencé à proposer de l’art indien contemporain, pas forcément l’art qu’on retrouvera dans cette exposition.
Ces ventes étaient destinées à la grande diaspora indienne installée à l’étranger et surtout aux États-Unis, mais en même temps cela a créé un intérêt même en Inde, et cela a augmenté les prix. Le marché est très compétitif en Inde, ce pays s’ouvre aux investisseurs étrangers, tout est lié. Tout change très rapidement, le nombre de galeries privées a explosé, les artistes commencent à vivre de leur art. Ce qui est une véritable nouveauté.
Comment les artistes sélectionnés ont-ils ressenti cette « mission » d’incarner l’Inde contemporaine artistique ?
Je crois qu’ils sont tous très heureux d’exposer à Paris…
Paris demeure un pôle artistique majeur ?
Oui, absolument. La ville impressionne ces artistes, même s’ils ont déjà beaucoup voyagé, qu’ils ont exposé en Asie, en Europe ou aux États-Unis pour certains. Avec cette exposition nous avons la volonté de montrer pour la toute première fois en France une idée de la scène actuelle indienne. Ce genre de manifestation, il ne faut la faire qu’une seule fois, pour ensuite exposer les artistes indiens avec d’autres artistes, sans en faire une exception culturelle, sans forcer le trait.
Diplômé en histoire et sciences politiques de l’université de Bombay, ancien élève de l’institut Courtauld de Londres. Enseigne actuellement l’histoire de l’art moderne et contemporain à Caen. A été commissaire d’ expositions, notamment : 1995 « Seuils », exposition d’artistes français à la National Gallery of Modern Art de Delhi. 2001 « Surrealismo » au Centro Cultural Banco do Brasil à Rio de Janeiro. 2004 « Dessins de Roland Barthes » au musée de l’Université de Tokyo. 2006 à venir, au musée Guimet, Paris, une exposition sur Rabindranath Tagore.
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Deepak Ananth : Des artistes sans complexes face à l’Occident
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Abonnez-vous dès 1 €Informations pratiques L’exposition « Indian Summer » se déroule jusqu’au 31 décembre, tous les jours, sauf le lundi, de 13 h à 19 h. Tarif : 4 € ; tarif réduit : 2,50 €. École nationale supérieure des Beaux-Arts, salles Malaquais, entrée au 13 quai Malaquais, Paris vie, tél. 01 47 03 50 72, www.ensba.fr
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°575 du 1 décembre 2005, avec le titre suivant : Deepak Ananth : Des artistes sans complexes face à l’Occident