À travers un voyage sur douze siècles d’art chypriote, le Musée du Louvre conte l’histoire de la plus orientale des îles méditerranéennes, soumise à de multiples influences.
PARIS - Romaine, byzantine, arabe, latine, puis vénitienne avant d’être conquise par les Turcs en 1571, Chypre change régulièrement de visage entre le IVe et le XVIe siècle. De ces bouleversements successifs, l’île tire une identité artistique faite d’échanges et de partages, mais qui reste toujours intimement liée à la sphère byzantine. Alors qu’elle occupe aujourd’hui la présidence du Conseil de l’Union européenne, et ce jusqu’en janvier 2013, le moment était idéal pour faire mieux connaître en France le patrimoine de ce petit bout de terre entre Orient et Occident. C’est chose faite grâce à cette exposition, conçue en étroite collaboration entre le Musée du Louvre et le département des Antiquités de Chypre.
Une scénographie sobre et un parcours chronologique pertinent permettent au public de l’espace Richelieu de découvrir les richesses de cette île, dont l’histoire reste relativement méconnue en France. Le long de cimaises sombres, le visiteur déambule à travers le temps, remontant jusqu’à l’édification des premières basiliques chrétiennes. Bribes architecturales et fragments de mosaïques témoignent de ce que furent, là-bas, les débuts de l’art monumental byzantin. Mais dans cette section du parcours, l’argent vole la vedette à la pierre : pour la première fois, six plats appartenant au trésor de Lamboussa-Lapithos, un important ensemble d’argenterie réalisé au VIIe siècle et mis au jour vers 1900, quittent le Musée archéologique de Nicosie et le Metropolitan Museum de New York pour être réunis à Paris. Fondu, ciselé, gravé, parfois doré et niellé, le précieux métal porte les marques de la virtuosité des orfèvres de l’époque. La délicatesse des fleurs, la finesse des ornements, le rendu des matières, le dynamisme de la scène, font du plat décoré du combat de David contre Goliath, objet de près de six kilos, une œuvre particulièrement impressionnante. Effrayés par les premières conquêtes arabes, ses riches propriétaires avaient choisi de l’enterrer avec le reste du service. L’envahisseur repoussé, Chypre se reconstruit en province impériale. Cette évolution est retracée dans la section suivante, où le beau Saint Démétrios (fin du XIIe ou début du XIIIe siècle) provenant de l’église Saint-Antoine à Kellia et vêtu d’une luxueuse soierie byzantine, correspond à l’exact canon de représentation des saints militaires de l’Empire.
Jusqu’à la domination turque
Au total, ce sont des prêts d’une dizaine de musées chypriotes, mais également des objets appartenant à l’évêché de Nicosie et à plusieurs autres collections publiques, françaises, italiennes, américaines, hongroises et britanniques, qui sont réunies pour l’occasion. L’étendue chronologique couverte par l’exposition est grande, la diversité des œuvres – plus de cent cinquante – également. Outre les sculptures, les mosaïques et les fresques, sont également présentées des enluminures, de l’orfèvrerie et de la céramique. Dans ce domaine, la production locale prend un nouveau tournant avec la prise de pouvoir des Lusignan, ces chevaliers francs à qui Richard Cœur de Lion confie l’île à la fin du XIIe siècle. Sur les coupes apparaissent alors de petits chevaliers en armures et d’amusants couples d’amoureux enlacés, parfois sous une même robe.
D’autres œuvres, inspirées par les arts de l’Islam ou la période d’occupation vénitienne de l’île, complètent ce panorama qui s’achève au XVIe siècle, alors que débute la nouvelle domination turque. Tous ces enjeux sont abordés clairement dans le catalogue très complet de l’exposition, fruit d’un riche travail scientifique, et qui compense des cartels individuels peu développés dans les salles. En complément de l’exposition, et parce que la présence française à Chypre ne s’est pas limitée à la domination franque médiévale, le département des sculptures du musée consacre dans sa « salle d’actualités » une petite présentation dédiée à ces voyageurs du XIXe siècle ayant quitté l’hexagone pour participer à la redécouverte du patrimoine de l’île. Parmi eux, l’archéologue Camille Enlart (1862-1927) est particulièrement sous les projecteurs. Juste retour des choses puisque, via des dons et des legs, cet auteur des premiers ouvrages consacrés à l’art médiéval à Chypre a, en son temps, largement fait profiter les musées français des œuvres, relevés et photographies issus de ses missions.
Jusqu’au 28 janvier 2013. Musée du Louvre, espace Richelieu, 75001 Paris. Tel. 01 40 20 53 17, www.louvre.fr, tous les jours sauf le mardi, 9h-17h45, nocturnes mercredi et vendredi jusqu’à 21h45.
Catalogue coédition Somogy et Musée du Louvre, 400 p., 42 €
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Découverte d’une Chypre médiévale
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Abonnez-vous dès 1 €Commissariat : Jannic Durand, conservateur général, adjoint au directeur du département des Objets d’art du Musée du Louvre, Dorota Giovannoni, documentaliste scientifique au département des Objets d’art du Musée du Louvre
Nombre d’œuvres : environ 150
Voir la fiche de l'exposition : Chypre entre Byzance et l'Occident IV-XVIe siècle
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°380 du 30 novembre 2012, avec le titre suivant : Découverte d’une Chypre médiévale