Pour la première fois, les chefs-d’œuvre de la Phillips Collection quittent
Washington pour l’Europe. La Fondation Gianadda en Suisse les expose cet été.
MARTIGNY - Petit-fils d’un magnat de l’acier, l’Américain Duncan Phillips (1886-1966) voua sa vie à sa collection d’art moderne, vaste ensemble constitué de quelque cinq cents œuvres signées Delacroix, Courbet, Daumier, Corot, Degas, Cézanne, Gauguin, Van Gogh, Matisse, Bonnard, Klee et Picasso. Autodidacte exigeant, il se forgea un goût original, rejetant les diktats de la mode au profit d’une lecture personnelle de la peinture, centrée essentiellement sur le pouvoir évocateur de la couleur. « Mon véritable rôle est de trouver l’artiste indépendant et de le soutenir face à la tyrannie du conformisme », affirmait-il. Ainsi de Bonnard, perçu à l’époque comme un « moderne impressionniste » sans grande originalité, et dont il réunit un ensemble sans équivalent en Amérique.
Soucieux de faire partager sa passion, Phillips ouvrit en 1921 – dans sa propre demeure de Washington – le premier Musée d’art moderne des États-Unis. À la faveur des travaux de rénovation et d’agrandissement de l’établissement, une cinquantaine de fleurons de sa collection ont traversé l’Atlantique, direction Martigny (Suisse) où ils ont rejoint la Fondation Pierre-Gianadda.
L’imposant bunker de béton érigé par Léonard Gianadda n’a rien du « petit musée intimiste » conçu par Duncan Phillips. Mais il permet d’embrasser au sein d’un même espace l’ensemble des toiles sélectionnées, et d’établir plus aisément ces corrélations entre les œuvres si ardemment recherchées par le collectionneur. « Je suscite des sympathies entre des artistes de différentes parties du monde et de diverses périodes de l’histoire, et je retrace leur ascendance commune, leur commun rapport aux maîtres anciens qui ont anticipé les idées modernes », expliquait-il. La Coupe de prunes (vers 1728) de Chardin annonce ainsi les recherches d’artistes du siècle suivant sur la nature morte, tels Cézanne (Pot de gingembre avec grenade et poires, 1890-1893) ou Gauguin, dont on peut admirer un flamboyant Jambon (1889), tandis que Sur la Stour (1834-1837) de Constable devance par la liberté de son traitement les paysages bien postérieurs de Courbet (La Méditerranée, 1857) ou de Corot.
« Somptueuse petite peinture »
Sur le même principe, le Saint Pierre repentant du Greco (vers 1600-1605) peut être rattaché à l’œuvre de jeunesse de Picasso, représentée ici par la très intimiste Chambre bleue (1901), « délicieuse et somptueuse petite peinture » (selon Phillips) qui peut être à son tour affiliée, par sa palette et son goût des aplats, à la production de Puvis de Chavannes. Pour s’en assurer, il suffit d’observer non loin de là les esquisses que ce dernier réalisa pour le décor du Musée des beaux-arts de Marseille. En amateur averti de la couleur, Phillips appréciait également Redon, Degas, Monet, Van Gogh – dont sont montrées ici trois toiles–, Kandinsky, Klee et Matisse. Mais sa préférence allait à Renoir et à son Déjeuner des canotiers (1880-1881), « l’une des plus belles peintures au monde » d’après lui. Pierre angulaire de sa collection, cette icône constitue le « prêt événement » de l’exposition suisse. Mais en est-elle pour autant le chef-d’œuvre absolu ? Bonnard, Matisse (Intérieur au rideau égyptien, 1948) et Picasso (La Chambre bleue) pourraient bien lui voler la vedette...
Jusqu’au 27 septembre, Fondation Pierre-Gianadda, rue de la Gare, Martigny, Suisse, tél. 41 27 722 31 13, tlj 9h-19h.
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De Washington à Martigny, la passion de la couleur
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°196 du 25 juin 2004, avec le titre suivant : De Washington à Martigny, la passion de la couleur