Les quelques années qui nous séparent de l’an 2000 seront placées sous le signe des bilans. L’Abstraction apparaît comme un des moments essentiels du siècle qui s’achève. Le chapitre concernant la Belgique vient de s’écrire sous la plume attentive de Philippe Roberts-Jones. Une promenade au cœur de la peinture en tant que telle.
BRUXELLES - En 120 tableaux, l’exposition retrace l’évolution de la peinture abstraite. L’histoire s’ouvre au début des années vingt avec la création à Anvers du cercle Het Overzicht, et à Bruxelles de celui baptisé 7 Arts. L’ère est au formaliste et au culte de la machine, de la vitesse et de la ville. Cette peinture, sensible au progrès social et au bien-être du plus grand nombre nourrit une avant-garde qui voit dans l’Abstraction un principe universel. On pourrait regretter le parti pris exclusivement pictural de cette exposition, l’Abstraction incarnant alors un idéal humaniste qui touche autant l’architecture que la musique ou la littérature. Un tel élargissement aurait donné naissance à une autre exposition, alors que le but de Philippe Roberts-Jones, auteur du catalogue et commissaire de l’exposition, était de saisir la spécificité picturale de l’Abstraction.
Des expressions antagonistes
Ce choix a le mérite de révéler quelques personnalités majeures comme Marthe Donas – accueillie avec enthousiasme par Herwarth Walden à la galerie Der Sturm de Berlin – ou Victor Servranckx, le principal représentant d’un courant abstrait qui, en Belgique, s’inscrit rapidement dans le style Art déco qui triomphe à Paris en 1925.
Le parcours reprend en 1945. En quelque 90 tableaux, l’Abstraction éclate en des expressions antagonistes. Les années cinquante apparaissent partagées entre une Abstraction construite, faite de réflexion et de mesure, et la virulence gestuelle d’une peinture vécue dans l’instant. La situation de la Belgique est aussi complexe que riche : l’Abstraction géométrique d’un Jo Delahaut se signale par sa poésie ; l’esprit de Cobra mène un Alechinsky vers des expériences singulières qui assignent au principe d’écriture un rôle déterminant. Les voies empruntées se font multiples : le Matiérisme explore les profondeurs de la peinture sans recourir à des matériaux étrangers ; le Surréalisme se fait un temps abstrait avec le groupe Phases ; l’Art optique et le Minimalisme trouvent leurs formulations propres. L’Abstraction n’est plus une innovation à défendre et à définir. Acquise, elle s’ouvre à de nouvelles dimensions.
Revoir la vision de l’Abstraction
Parallèle à l’exposition, le catalogue s’impose par sa valeur documentaire. Après un panorama historique dû à Philippe Roberts-Jones, un choix de documents d’époque permet d’appréhender le sens donné à cette Abstraction. Des textes de Servranckx, de Vantongerloo et de Peeters donnent le ton pour les années vingt et trente. Après 1945, les textes choisis témoignent d’un élargissement des perspectives : aspiration à l’architecture comme enjeu de société pour le Groupe Espace, nécessité existentielle pour Alechinsky dans le contexte de Cobra ou volonté libertaire pour Dypréau, qui consacre par le Manifeste de la peinture partagée (1959) l’union de l’écrit et de l’image.
"Chacun vit l’Abstraction selon une exigence qui lui est propre". Cette certitude a conduit Philippe Roberts-Jones à interroger les acteurs encore vivants de cette histoire de la peinture abstraite. Le résultat tient en une série de réponses aussi diverses que la nature humaine. Un moment essentiel et un témoignage capital, qui devraient conduire certains à revoir leur vision de l’Abstraction. Car celle-ci reste avant tout question de liberté.
LA PEINTURE ABSTRAITE EN BELGIQUE, Crédit communal, Passage 44, Bruxelles, jusqu’au 7 juillet, entrée libre. Tous les jours de 10h à 18h. Catalogue en français et en néerlandais, 264 p., 950 FB.
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De Servranckx à Marthe Donas
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°25 du 1 mai 1996, avec le titre suivant : De Servranckx à Marthe Donas