De Nittis - Le Salon de la Princesse Mathilde

Par Lina Mistretta · L'ŒIL

Le 15 novembre 2010 - 1201 mots

Giuseppe De Nittis fut le plus français des artistes italiens du XIXe siècle. Quatorze ans après Milan, le Petit Palais met à l’honneur le peintre de Barletta.

Giuseppe De Nittis est un artiste peu connu du grand public. Il fait pourtant partie de la scène picturale française. Il passa à Paris l’essentiel de sa brève existence avant de mourir à 38 ans d’une embolie cérébrale. Caillebotte, Manet, Degas furent ses amis intimes et c’est avec les deux derniers qu’il expérimenta l’utilisation du pastel dans les compositions de grand format. Son œuvre se déploie au-delà de l’impressionnisme mondain dont on l’étiquettera et fait de lui l’héritier d’autres courants.
C’est comme peintre paysagiste qu’il se fait d’abord connaître: il sait transcrire avec une rare sensibilité les paysages poussiéreux de sa ville natale Barletta, les couchers de soleil napolitains incandescents, les ruelles ensoleillées, l’éruption du Vésuve. Une sensibilité aux variations de la lumière, exacerbée dès l’âge de quinze ans dans la campagne napolitaine, le pousse à réaliser inlassablement et en toute liberté des études d’après nature.

Le tout-Paris au salon
À vingt-et-un ans, il s’installe à Paris. Le dynamisme artistique et commercial de la capitale française fascine les peintres italiens. Plus que sa ville d’adoption, Paris devient sa ville passion. Nittis s’intègre d’emblée socialement et artistiquement à la scène parisienne. Il peint beaucoup et privilégie des sujets ayant trait à la vie moderne parisienne. Le critique Philippe Burty dit qu’«il est acclimaté à ce point qu’il sait en dire plus long sur Paris que les Parisiens eux-mêmes». Sa fortune critique le figera d’ailleurs, à tort, comme le chroniqueur de la vie parisienne, happé par l’atmosphère festive du moment.
C’est l’époque du «salon» annuel et des salons. Ces derniers sont nombreux: il y a les salons officiels qui se distinguent par le faste de leurs réceptions, les salons diplomatiques qui voient se côtoyer les personnalités les plus marquantes de la haute société de l’époque, et les soirées littéraires et musicales fréquentées par l’élite intellectuelle. Nombre d’artistes, de savants et d’hommes de lettres répondent aux invitations de femmes célèbres telle la princesse de Polignac, Madeleine Lemaire ou la princesse Mathilde, cousine de l’empereur Napoléon III, dont le salon est le plus couru de Paris. Les frères Goncourt en sont les hôtes assidus et l’on peut reconnaître, parmi les invités, Maupassant, Réjane, Manet, Renan, Sarah Bernhardt et Giuseppe De Nittis qui fit sa connaissance par l’intermédiaire de son grand ami Edmond de Goncourt. La description qu’il fait de son Salon (1883) corrobore les dires de ses contemporains et livre ainsi un précieux témoignage visuel.

Description de l'oeuvre : Giuseppe De Nittis - Le Salon de la Princesse Mathilde (1883) - Huile sur toile - 92,5 x 74 cm - Museo Pinacoteca Communale

1 Le décor - Les effets de lumière
Le salon de la princesse Mathilde est situé seize rue de Courcelles. Sa biographe Marguerite Castillon souligne le caractère disparate de l’ameublement qui mêle « les coussins bariolés, les froufrous, les franges à glands, les potiches, les soies anciennes, les lampes de Chine ». C’est l’époque où les intérieurs cossus sont encombrés de «curiosités».
On entre dans le tableau par le somptueux bouquet d’azalées roses qui se déploie contre la table ronde parsemée de flacons, de bibelots de toutes sortes. La matière picturale dense, faite de vibrants coups de pinceaux lumineux, magnifie les objets posés sur la table.
Les effets de la lumière artificielle provenant d’une lampe sont un thème récurrent des dernières années de la vie de Nittis. Ils forment des contrastes d’ombre et de lumière qui modèlent objets et personnages. Les différentes sources de lumière placées dans la composition structurent l’espace en plusieurs plans de façon à créer une profondeur de champ.

2 La mondaine - L’entrée dans la scène
Au premier plan, au-dessous du rideau ouvrant sur le salon qui tient lieu de scène, une femme, assise à la table ronde, tourne le dos au spectateur. Elle porte une superbe robe de soie noire échancrée dont la traîne tombe en cascade jusqu’au sol. La gamme chromatique à base de noir est chère à Nittis. Ses cheveux roux coiffés en chignon laissent apparaître un dos et une nuque d’une belle sensualité. Giuseppe De Nittis aime peindre les femmes de dos, dans leur élégante robe du soir. Il s’attache à décrire le charme du corps féminin à travers des harmonies de lignes sinueuses et de volumes. Le haut de son corps est auréolé de lumière et son bras droit ganté vibre sous les faisceaux lumineux de la lampe. Elle semble diriger ses regards vers un couple en pleine conversation, situé exactement au centre de la composition.

3 La princesse - Du côté de chez Proust
La femme d’un certain âge au décolleté généreux et à la coiffure grisonnante rehaussée d’un diadème serait la princesse Mathilde. Elle semble s’adresser à l’homme exagérément penché vers son visage, peut-être à cause du bruit de fond de la salle. La position de leur corps et l’expression concentrée de leur visage apportent à la scène un sentiment d’instantanéité. Plusieurs tableaux de Nittis acquis par la princesse sont vraisemblablement accrochés aux murs, mais seul Ruines de Pompéi est reconnaissable derrière elle.
Proust, dont le tout-Paris se retrouve sous sa plume, fréquente lui aussi assidûment le salon. C’est dans ce type de lieux qu’il rassemble le matériau nécessaire à l’élaboration de son œuvre. Si Madeleine Lemaire est l’un des modèles de la fameuse Madame Verdurin, on retrouve la princesse Mathilde dans Du côté de chez Swann et il fait son portrait dans À l’ombre des jeunes filles en fleurs: «Sa franchise un peu fruste et presque masculine, elle l’adoucissait, dès qu’elle souriait, de langueur italienne…» Libérale, cultivée, influente, elle accueille, dit-on, ses visiteurs avec un « sans façon qui est l’extrême raffinement de la condescendance de la politesse ».

4 Les deux femmes - Une atmosphère bruissante et élitiste
À droite de la princesse, deux personnages féminins placés vers la gauche du tableau constituent l’axe autour duquel s’organise la composition. Elles sont vêtues d’élégantes robes du soir blanches, éclairées par la lampe de la table. De Nittis sait rendre comme nul autre les effets produits par un éclairage intérieur. La lumière artificielle projette sur les étoffes précieuses des robes des reflets diamantés et orchestre de subtiles variations tonales de blanc. Leur silhouette lumineuse tranchent avec la masse sombre formée par le groupe de personnages debout derrière elles. Leur corps est doucement penché en arrière et leur charmant visage tendu semble capté par un spectacle ou une discussion hors champ.
L’artiste restitue de façon générale une atmosphère bruissante, élitiste, ostensible, et utilise pour cela des teintes «feutrées» à base de pourpre, couleur impériale, en référence peut-être au rang de la princesse Mathilde. Le spectateur est au théâtre, le spectacle est dans le salon.

Biographie

1846 Naissance à Barletta, dans les Pouilles.

1863 Cofonde à Naples «l’école» de Résina pour une peinture de paysage libérée de toute anecdote historique.

 1868 Il s’installe en France et expose pour la première fois au Salon. Le marchand Goupil passe commandes.

1870 Peint la Grenouil-lère avec les impressionnistes.

1874 Il présente cinq œuvres lors de la première exposition impressionniste.

1879 Collabore à la revue d’Émile Bergerat, La Vie moderne.

1884 De Nittis meurt à Saint-Germain-en-Laye dans sa maison de campagne.

Autour de l’exposition

Infos pratiques. «Giuseppe De Nittis, la modernité élégante», jusqu’au 16 janvier 2011. Petit Palais, Paris VIIIe. Du mardi au dimanche de 10h à 18h. Jeudi jusqu’à 20h. Fermé les jours fériés. Tarifs: de 5 à 10e. www.petitpalais.paris.fr 

L’exposition. Première rétrospective en France depuis 1886, l’exposition du Petit Palais dresse un panorama de l’œuvre de l’artiste italien arrivé en France en 1868. Elle met en avant le caractère impressionniste de son œuvre. Bien avant sa rencontre avec Degas et Manet, ce rebelle à l’enseignement académique peint sur le motif et se débarrasse de tout élément narratif.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°630 du 1 décembre 2010, avec le titre suivant : De Nittis - Le Salon de la Princesse Mathilde

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